Arnaud de Blauwe
Crash du ConcordeUn arrêt qui dérange
Dans son arrêt du 29 novembre 2012, la cour d’appel de Versailles a relaxé l’ensemble des personnes poursuivies à la suite du crash du Concorde, en juillet 2000. Mais la lecture de la décision de 333 pages révèle les défaillances des autorités de l’aviation civile dans le suivi et le contrôle du supersonique. L’information, peu évoquée par les médias, conforte ceux qui accusent régulièrement les autorités d’agir « sous pression », au détriment de la sécurité aérienne.
Le 29 novembre dernier, la cour d’appel de Versailles rendait son arrêt concernant le crash du Concorde Air France, en juillet 2000 (113 morts). Si elle valide à son tour les causes de l’accident survenu au-dessus de Gonesse (93), peu après le décollage de Roissy-CDG, elle considère qu’aucune responsabilité pénale ne peut être imputée aux personnes physiques et à la personne morale (la compagnie Continental) poursuivies dans ce dossier (1). Et si les médias se sont concentrés sur cette information principale, une autre a été fort peu développée.
Dans son arrêt de 333 pages, la cour pointe en effet sévèrement les carences des autorités responsables de l’aviation civile : la DGAC (Direction générale de l’aviation civile), administration sous tutelle du ministère des Transports, et le BEA (Bureau d'enquêtes et d'analyses), en charge « des enquêtes de sécurité ». Un organisme que des acteurs du monde de l’aérien critiquent régulièrement pour son manque d’indépendance, comme ce fut encore le cas à l’occasion de l’accident en juin 2009 de l’Airbus A330 d’Air France qui assurait un vol Rio-Paris (228 morts) (2).
L’arrêt relatif au Concorde ne pourra que les conforter dans leur opinion. Aux pages 203 et 204, la cour reprend ainsi le dialogue qui s’est tenu dans le cadre de l’instruction entre le juge et un certain Michel B., décédé depuis. « À partir de mi-1978, j’ai intégré le BEA, déclare-t-il lors d’une de ses auditions. À l’époque, Concorde rencontrait un certain nombre de problèmes. J’ai voulu faire des enquêtes, notamment sur un grave incident à Dakar […]. Je n’ai pas pu. Il ne fallait pas gêner Air France ». Le juge d’instruction lui demande alors : « Qui a fait obstacle à ces enquêtes ? » Réponse de Michel B. : « C’était très haut dans l’administration. On m’a fait savoir qu’il n’y aurait pas d’enquête ». Plus loin, après un incident mettant en cause les pneus du Concorde à Washington, en juin 1979, l’ex-responsable du BEA raconte au juge : « J’ai eu du mal à faire cette enquête. Moi, j’essayais de faire une enquête technique mais je me heurtais aux autorités qui ne voulaient pas qu’on mette certains éléments sur la place publique. Elles voulaient éviter toute publicité […]. Suspendre les vols Concorde, c’était un suicide pour l’appareil qui venait juste d’obtenir l’autorisation de se poser à New-York. »
À Versailles, lors du rendu de l’arrêt en audience publique, la présidente de la cour d’appel enfoncera le clou dans une déclaration préalable : « Au cours de ses réquisitions, l’avocat général (il représente l’accusation, ndlr) faisait remarquer que si le Concorde avait volé autant que l’Airbus A320, l’accident de Washington (en juin 1979) serait survenu le cinquième jour de son exploitation et l’accident de Gonesse (juillet 2000) le trentième jour […]. La cour considère que […] les préoccupations économiques et financières récurrentes ont participé à un suivi de navigabilité qui n’était pas à la hauteur […] du projet Concorde. Cet aéronef a été vécu comme une sorte de boulet sur le plan purement économique, mais aussi en fonction de ses exigences techniques très élevées qui sont apparues au fil du temps en exploitation et devant lesquelles les uns et les autres, bien que conservant chacun leur pouvoir et leur liberté d’initiative et d’action, semblent s’être confortés à une acceptation résignée d’une situation à laquelle il était nécessaire de remédier ou à laquelle il fallait mettre un terme. » Ce n’est pas la voie qui a été suivie. Il aura fallu un crash pour que l’aventure du Concorde se termine.
(1) Après avoir roulé sur une lamelle d’usure, perdue 4 minutes plus tôt par un DC10 de la compagnie Continental, le pneu n°2 du Concorde a éclaté, ce qui a provoqué la perforation de l’un des réservoirs de carburant qui s’est ensuite enflammé.
(2) En juillet 2012, le BEA a rendu son rapport définitif : s’il évoque des causes techniques (givrage des sondes Pitot) dans la survenance de l’accident, il met également en cause le comportement inapproprié de l’équipage. L’enquête judiciaire est quant à elle toujours en cours.