Anne-Laure Lebrun
Les raisons d’un vaccin en temps record
À peine un an après le début de l’épidémie de Covid-19, deux vaccins devraient être autorisés en Europe. Un développement éclair possible grâce à des investissements faramineux, d’importants progrès technologiques et des procédures administratives accélérées.
Les premières vaccinations contre le Covid-19 pourraient débuter « dès la dernière semaine du mois de décembre avant de monter en puissance début janvier », a annoncé Jean Castex, le Premier ministre, devant l’Assemblée nationale mercredi dernier. La France, à l’image des 25 autres pays européens, attend le feu vert de l’Agence européenne du médicament (EMA). Cette dernière devrait octroyer l’autorisation de mise sur le marché (AMM) au vaccin développé par Pfizer/BioNTech le 21 décembre. Le vaccin de l’américain Moderna devrait être autorisé la semaine suivante.
Jamais dans l’histoire des vaccins n’auront été développés et autorisés si vite. Qui plus est des vaccins dotés d’une efficacité « exceptionnelle », de l’aveu de tous les experts. Une prouesse scientifique qui enthousiasme, mais qui inquiète aussi. Comment a-t-on pu développer des vaccins aussi efficaces en 10 mois, au lieu de 10 ans habituellement ? Et comment peut-on les mettre si rapidement sur le marché ?
Un virus pas totalement inconnu
L’une des principales explications est que ce virus inconnu jusqu’en janvier n’est pas un total étranger. En effet, le SARS-CoV-2 a un cousin germain que les infectiologues connaissent bien, le SARS-CoV-1, responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003. « Ces virus sont étroitement apparentés et appartiennent à la famille des coronavirus que l’on étudie depuis longtemps. Ils ont à leur surface des protéines similaires et utilisent les mêmes pour s’attacher aux cellules et y entrer pour les infecter. La plus importante étant la protéine Spike, qui est aujourd’hui la cible de la majorité des vaccins en cours de développement », décrit le Pr Christian Rabaud, infectiologue au CHRU de Nancy.
Plusieurs essais vaccinaux ont été lancés chez l’animal en 2003. Mais aucun essai clinique n’a été réalisé chez l’homme, car le SARS-CoV-1 a disparu au bout de 3 mois. Dix-sept ans plus tard, lorsque le SARS-CoV-2 a fait son apparition, ces travaux ont été sortis des placards et ont permis à la recherche académique et aux laboratoires pharmaceutiques de se mettre au travail immédiatement. Début décembre, pas moins de 274 candidats-vaccins sont en cours de développement. Et parmi eux, 59 sont en phase d’évaluation chez l’homme.
De nouvelles technologies vaccinales
Les importantes avancées des technologies vaccinales et l’émergence des vaccins à ARNm ont aussi permis ce développement rapide. Cette approche innovante utilisée par Pfizer/BioNTech et Moderna est médiatisée depuis peu, mais en réalité, elle est étudiée depuis près de 30 ans. « Dès 1993, une équipe française a montré que les vaccins à ARNm pouvaient induire une réponse immunitaire, relève le Pr Lamiae Grimaldi de l’unité de pharmacologie-pharmaco-épidémiologie du groupe hospitalier Paris-Saclay (AP-HP). Et depuis 2017, des vaccins contre le virus Zika, Ebola, la grippe ou encore le cytomégalovirus sont conçus et testés chez l’homme. » Cette technologie présente un avantage indéniable lors d’une pandémie : sa rapidité de production. Contrairement aux vaccins classiques, il est inutile de mettre en culture des virus, les tuer puis s’assurer qu’ils sont inoffensifs. Il suffit de connaître le code génétique de la fameuse protéine Spike puis de le reproduire chimiquement en laboratoire. Une étape qui aurait pris seulement 2 à 3 jours, à en croire Moderna. Pourtant, de nombreuses questions persistent autour de ces vaccins, en particulier leur efficacité sur le long terme et le risque d’effets indésirables à moyen et long terme.
Des investissements colossaux
Les protocoles d’essais cliniques mis en place dans l’urgence ne peuvent pas répondre à ces questions pour le moment. Au lieu de se succéder, les phases se réalisent en parallèle et quasi simultanément, ce qui fait gagner beaucoup de temps mais limite également le recul sur ces produits. Les premières injections du vaccin Moderna, le premier testé, ont eu lieu en mars. Le suivi des sujets vaccinés est donc de 8 mois seulement.
Dernière pièce du puzzle, et non des moindres : l’investissement des États et l’adaptation du cadre réglementaire. Pour accélérer le développement des vaccins, l’Union européenne a débloqué plus de 2,15 milliards d’euros et a négocié avec 6 laboratoires différents, dont Pfizer, AstraZeneca ou encore Sanofi, afin de réserver plus de 2 milliards de doses. « Cela a permis de financer la finalisation des essais cliniques, la mise en place de nouvelles chaînes de production, ou encore l’achat de matières premières. Si le candidat-vaccin obtient l’AMM, le contrat s’enclenche et chaque pays européen achète lui-même le nombre de doses fixé par le contrat », explique-t-on à la Commission européenne. Les États-Unis ont eux aussi signé des contrats de préréservation et dépensé plus de 11 milliards de dollars. Des investissements inédits qui ont permis aux industriels de lancer la production de leurs candidats-vaccins alors même qu’ils n’avaient pas l’assurance que leurs vaccins étaient sûrs et efficaces.
Une procédure accélérée
Dans le même temps, l’Agence européenne du médicament (EMA) a également bouleversé sa manière d’évaluer les dossiers. L’étude ne prendra pas 210 jours, comme c’est le cas en temps normal, mais à peine un mois et demi. Une procédure accélérée permise notamment grâce à l’examen continu des données. « Les industriels envoient leurs résultats au fil de l’eau, et non pas au moment de la demande d’autorisation de mise sur le marché, ce qui permet aux experts d’évaluer plus vite les dossiers. Mais les critères d’exigence et les standards de qualité, d’efficacité et de sécurité sont les mêmes que d’habitude », explique Alban Dhanani, directeur de la direction vaccin à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Ainsi, les experts de l’EMA décortiquent les données de Pfizer depuis le 6 octobre et celles de Moderna depuis le 16 novembre.
Mais le suivi de ces vaccins ne s’arrêtera pas là. Une fois l’AMM octroyée, un processus de pharmacovigilance commencera. Les patients vaccinés seront suivis, et les déclarations d’événements indésirables seront encouragées. Les laboratoires auront aussi l’obligation de communiquer leurs nouvelles données et d’établir un rapport des événements inattendus tous les mois.
Pourquoi la recherche est-elle si longue pour d’autres virus, comme le VIH ?
Si cette question peut paraître légitime, la comparaison entre le Covid-19 et le VIH n’est pas pertinente. Si le SARS-CoV-2 et le VIH sont bien des virus, ils n’ont pas d’autres points communs. Leur mécanisme d’action, leur cible dans l’organisme et la capacité de notre système immunitaire à se défendre face à ces infections sont très différentes. « Dans le cas du Covid-19, nous produisons des anticorps et nous sommes capables de nous débarrasser de l’infection naturellement. C’est aussi le cas de la rougeole, par exemple. Mais, face au VIH, les anticorps sont inefficaces », explique le Pr Rabaud.
En outre, le VIH mute sans cesse, ce qui lui permet de contrer toutes les attaques du système immunitaire et de lui échapper. L’élaboration d’un vaccin est alors éminemment complexe. Ce n’est pas le cas du SARS-CoV-2 : son génome est stable, et les rares mutations qui ont pu être observées ne modifient pas sa virulence, sa contagiosité et sa manière d’infecter les cellules, ce qui laisse penser que les vaccins seront efficaces sur le long terme.