Morgan Bourven
Covid-19Le Conseil d’État annule l’ordonnance permettant aux voyagistes d’émettre des avoirs au lieu de rembourser
L’ordonnance de mars 2020 qui autorisait les organisateurs de voyages à proposer un remboursement sous forme d’avoir en cas d’annulation d’un séjour vient d’être annulée par le Conseil d’État après un recours formé par l’UFC-Que Choisir et la CLCV. Les voyageurs qui se sont vu facturer des frais ou qui n’ont obtenu aucun remboursement car ils avaient annulé pour cause de Covid-19 peuvent donc se faire rembourser.
Le contexte sanitaire lié au Covid-19 a contraint, début 2020, les compagnies aériennes et les agences de voyages à annuler les vols et les séjours de millions de voyageurs. Face à un risque de faillite important en cas de remboursements trop nombreux, la plupart de ces sociétés ont imposé des avoirs à leurs clients. Avec l’ordonnance no 2020-315 du 25 mars 2020, le gouvernement français a officialisé cette pratique en autorisant les professionnels du tourisme à émettre des avoirs au titre du remboursement d’un séjour annulé entre le 1er mars et le 15 septembre 2020 en raison de la crise sanitaire.
L’UFC-Que Choisir, consultée lors de l’élaboration de cette ordonnance, a pointé la non-conformité du texte au regard de la législation européenne en vigueur et demandé – sans grand succès face à des professionnels peu collaboratifs ‒ la mise en place de mesures complémentaires destinées à gérer les effets de bord de ce texte, notamment la prise en compte de la situation particulière de certains voyageurs. Les pratiques de nombreuses agences qui continuaient à refuser aux voyageurs des annulations sans frais, l’échec des négociations avec les professionnels et la violation manifeste par la France de la réglementation européenne dans l’adoption de son ordonnance ont finalement conduit l’UFC-Que Choisir et la CLCV (l’association Consommation Logement Cadre de vie) à saisir le Conseil d’État puis la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
Ce long combat judiciaire contre cette ordonnance qui bafoue les droits des consommateurs s’achève par une victoire des deux associations de consommateurs. Dans une décision du 13 octobre 2023, reprenant les conclusions de l’arrêt C-407/21 du 8 juin 2023 de la CJUE, le Conseil d’État a en effet annulé pour excès de pouvoir l’ordonnance du 25 mars 2020.
La CJUE, dans son arrêt, a rappelé que la réglementation européenne donne le droit au voyageur d’annuler sans frais son séjour lorsque des circonstances exceptionnelles et inévitables surviennent sur le lieu de destination. Le remboursement doit se faire sans retard excessif dans un délai de 14 jours. Pour la cour, la directive ne laisse aucune ambiguïté sur l’objet du remboursement : il porte bien sur une somme d’argent et il n’est pas fait état dans le texte de la possibilité de remplacer l’obligation de paiement d’une somme d’argent par une autre forme, telle que des bons à valoir.
D’autres mesures de protection étaient possibles
Interrogée par l’UFC-Que Choisir et la CLCV sur la possibilité pour les gouvernements nationaux de déroger à la directive afin de protéger la solvabilité des professionnels du tourisme – ce qui était l’argument principal de la France pour justifier son ordonnance – la CJUE a souligné que les dispositions de la réglementation ne souffrent d’aucune adaptation. Des dispositions s’écartant de celles fixées par la directive sont interdites, notamment quand elles auraient pour conséquence de réduire le niveau de protection des voyageurs.
En outre, la Cour note que rien n’empêchait le gouvernement français de prendre d’autres mesures pour limiter les difficultés financières du secteur touristique. Par exemple, les États membres avaient la possibilité de recourir aux aides d’État ou d’instaurer des mesures visant à inciter les voyageurs à accepter des bons à valoir à la place de remboursements.
Demandez le remboursement
Cette annulation de l’ordonnance ne devrait pas avoir un fort impact sur les consommateurs ayant obtenu un avoir, puisque la durée de validité de ces bons est dépassée et qu’ils ont normalement été utilisés ou remboursés depuis (si ce n’est pas le cas, vous pouvez en exiger le remboursement).
En revanche, elle entraîne des conséquences pour les voyageurs ayant dû s’acquitter de frais d’annulation ou qui n’ont obtenu aucun remboursement de leur séjour annulé pour cause de Covid-19.
L’ordonnance imposait aux consommateurs qui voulaient prendre l’initiative de l’annulation et être remboursés de prouver des circonstances exceptionnelles précises sur le lieu de destination ou aux alentours. En conséquence, certains professionnels refusaient de délivrer un avoir en cas d’annulation par le voyageur s’il n’y avait, par exemple, aucun cluster sur le lieu du séjour. Du fait de l’annulation de l’ordonnance, tous les consommateurs qui se sont vu refuser le bénéfice d’un remboursement parce qu’ils ont annulé eux-mêmes leur voyage par crainte du virus peuvent désormais le solliciter à nouveau.