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ContraceptionNatural Cycles, une application moins fiable qu’elle ne le prétend

Une simple application en guise de contraception. C’est la promesse de Natural Cycles, « études scientifiques à l’appui ». Mise au point par un couple de physiciens suédois, elle prétend fournir une protection comparable à la pilule, à l’aide d’un simple thermomètre mais surtout sans hormones artificielles. Décryptage.

Une application mobile et un thermomètre à deux décimales. À en croire les fondateurs de Natural Cycles, il n’en faudrait pas plus pour éviter les grossesses non désirées. Cette méthode naturelle connaît un réel succès : plus de 900 000 femmes auraient téléchargé l’appli dans le monde. Elle répond à une demande réelle. Rien qu’en France, environ 4 % des femmes en âge de procréer ont recours à une méthode naturelle.

« Les femmes qui souhaitent une contraception non hormonale et non invasive ont peu d’options à leur disposition, explique le fabricant à Que Choisir. Natural Cycles leur offre une solution potentielle, quand beaucoup utilisent des méthodes moins efficaces, voire aucune. » Pour soutenir son propos, l’entreprise suédoise dispose d’arguments de poids.

En août 2018, la puissante FDA (Administration des denrées alimentaires et médicamenteuses) a autorisé la mise en vente sur le sol américain de l’application (1). La question du remboursement y est même soulevée. En Europe, elle dispose d’un marquage CE en tant que dispositif médical, ce qui ne garantit pas son efficacité.

Comment ça marche ?

Natural Cycles fonctionne selon un principe bien connu des femmes ayant recours à une contraception naturelle : la mesure de la température basale. « Cette méthode prétend détecter l’ovulation, après laquelle la température est légèrement plus élevée, détaille le Pr Geneviève Plu-Bureau, gynécologue à l’hôpital Cochin (Paris). Il faut donc avoir la courbe de la première partie de cycle, un décrochement à l’ovulation puis un plateau. »

Chaque matin, avant le lever, la femme doit prendre sa température à l’aide d’un thermomètre à deux décimales. Elle renseigne aussi les dates de ses règles, chaque mois. Un algorithme prend alors le relais. Il prend en compte la durée de vie des spermatozoïdes, la durée du cycle ou encore la durée de chaque phase.

Après un à trois cycles d’apprentissage, le dispositif serait capable d’estimer la période la plus à risque, une fenêtre de 6 jours à risque de grossesse. « Une femme est fertile seulement quelques jours par cycle, indique à Que Choisir le Pr Plu-Bureau. Mais il faut savoir que cette période varie d’un cycle à l’autre, et surtout d’une femme à l’autre. »

À partir des résultats, l’application affiche une couleur pour chaque journée. Le vert indique qu’il est possible d’avoir des rapports sexuels sans protection mécanique. Le rouge, au contraire, signale la nécessité de s’abstenir ou d’avoir un rapport protégé. Cela pour le prix de 8,99 € par mois ou 64,99 € par an– thermomètre inclus.

L’application indique un jour « rouge » et invite l’utilisatrice à se protéger (préservatif, abstinence) ; elle fournit également un historique des jours « rouge » et « vert » ainsi que la température mesurée à chaque date.

« Prouvée par des tests cliniques »

Afin d’obtenir ses précieuses autorisations, Natural Cycles a complété son dossier par deux études rétrospectives, menées sur les utilisatrices de l’application. Ce sont ces travaux qui ont servi à calculer l’indice de Pearl, qui reflète l’efficacité de toute méthode contraceptive. Pour l’heure, c’est la seule appli disponible à avoir réalisé de telles recherches.

Ces publications constituent d’ailleurs le cœur de la stratégie marketing : le fabricant insiste sur le fait que l’efficacité de l’appli est « prouvée par des tests cliniques ». Parmi les usagères, 8,3 % tombent enceintes au cours des 13 premiers mois puis 7 % par la suite. Cela rend l’appli comparable à la pilule oestroprogestative et ses 91 % d’efficacité en utilisation normale… et même supérieure au préservatif (85 % d’efficacité).

L’algorithme, qui permet d’éliminer le facteur « erreur humaine », est également la garantie d’une efficacité supérieure par rapport aux méthodes maison – qui consistent à noter les courbes de température sur un tableau dédié. Il serait particulièrement sensible aux variations mineures qui peuvent se produire. « Si l’algorithme repère une donnée inattendue – comme une température anormalement élevée –, il affichera un jour rouge par précaution », illustre le fabricant. Une marge d’erreur est également prévue : en moyenne, dix jours rouges s’affichent au lieu de six.

L’application permet de visualiser, sous forme de courbe, l’évolution de la température au cours du cycle. Celle-ci illustre bien la baisse de température après les règles, qui remonte au cours de la période fertile. Elle prédit aussi la date d’ovulation.

Un service loin d’être parfait

En dépit de ce beau vernis, Natural Cycles comporte de nombreux défauts, à commencer par la langue d’utilisation. Alors que le site fournit une notice en français, l’application n’est pas disponible dans cette langue. Une compréhension basique de l’anglais est donc nécessaire.

Mais surtout, de nombreux facteurs peuvent perturber la mesure de la température. « Il est peu évident de détecter exactement quand l’ovulation se produit, souligne le Pr Geneviève Plu-Bureau. La moindre modification de l’état général, comme une petite infection ou une mesure après le lever, peut faire varier la température, ce qui rend l’interprétation difficile. »

D’ailleurs, une longue liste détaille les cas ne pouvant pas donner lieu à une mesure : consommation d’alcool, activité physique intense la veille, rapport sexuel le matin précédent… Pas moins de douze situations sont listées. « Les troubles du sommeil ont une influence sur la température, surtout chez les femmes qui travaillent la nuit, confirme la gynécologue. Les petites pathologies, qui ne provoquent pas forcément de symptômes, peuvent aussi fausser la mesure. »

Des études cliniques qui laissent à désirer

Ces contraintes expliquent peut-être la qualité médiocre des études tant vantées par l’application. Le fabricant met en avant le grand nombre d’utilisatrices qui ont servi à récolter des données d’efficacité. Un argument quelque peu exagéré. En 2017, un travail mené sur 22 785 usagères a été publié. En réalité, seules 2 684 ont été suivies plus de 18 mois ; moins de 10 % des femmes ont utilisé parfaitement le dispositif et les informations sur l’activité sexuelle figuraient pour un tiers des cycles seulement.

« Les papiers publiés sur l’efficacité sont réalisés par ceux qui ont commercialisé l’application », ajoute le Pr Plu-Bureau. En effet, les principaux auteurs sont les deux créateurs de Natural Cycles ainsi qu’une personne employée par l’entreprise. « Cela pose des problèmes de conflit d’intérêt, note la gynécologue. Ces études méritent d’être confirmées par des auteurs indépendants. »

L’application semble donc acceptable à condition d’être informée des risques de grossesse… et surtout de s’imposer une rigueur absolue. « Qu’on l’utilise entre deux grossesses, quand on n’est pas à six mois près, pourquoi pas… concède Geneviève Plu-Bureau. Mais elle n’est pas assez efficace pour des jeunes femmes, qui sont très fertiles. »

Les chiffres des études indiquent d’ailleurs qu’une utilisatrice sur deux a abandonné au cours de la première année. « Les autres méthodes affichent des taux similaires », se défend le fabricant, bien décidé à en savoir plus sur les raisons de ces abandons.

Des polémiques émergent

Des voix discordantes commencent à se faire entendre. En Suède, l’Agence des produits médicamenteux a lancé une enquête après le signalement d’au moins 37 avortements chez des utilisatrices de l’application. Elle a publié, en septembre 2018, des résultats (3) plutôt rassurants. Sur six mois de suivi, le taux d’échec est conforme aux promesses (6,6 % à 6,9 %).

L’autorité a tout de même exigé plus de clarté sur le risque de grossesse non désirée. « Nous avons pu montrer que ces changements avaient été intégrés plus tôt dans l’année », indique Natural Cycles. L’affaire est donc close.

Le Royaume-Uni s’est montré plus sévère. Dans son viseur, les publicités diffusées sur les réseaux sociaux qui promettaient une « forte efficacité » et un dispositif « soutenu par des études scientifiques ». L’Agence des normes de la publicité a demandé le retrait de cette campagne, considérée comme mensongère au vu des données disponibles.

Cette publicité a été diffusée sur Facebook par Natural Cycles. Elle promet un dispositif « de haute précision », « vérifié cliniquement ». Elle est désormais interdite au Royaume-Uni.

Des options plus fiables sur le marché

De nombreuses contraceptions sont disponibles en France. Hormonales ou mécaniques, les plus efficaces ont fait l’objet d’études sérieuses et six d’entre elles fournissent une protection supérieure à 90 %. En tête figure l’implant avec 99,9 % d’efficacité. Ce bâtonnet reste en place pendant trois ans. Posé par un médecin ou une sage-femme, il contient une hormone progestative libérée à long terme.

Les dispositifs intra-utérins (DIU) figurent en deuxième position. Ceux contenant des hormones progestatives fournissent une meilleure protection que ceux en cuivre (99,8 % contre 99,2 %) mais ils restent en place moins longtemps – 5 ans contre 5 à 10 ans. D’ailleurs, les contraceptions de longue durée sont jugées les plus efficaces en vie réelle.

Le contraceptif peut aussi être injecté tous les trois mois, avec une efficacité de 94 %. Il s’agit alors d’une hormone progestative qui peut être administrée par un médecin ou une sage-femme. Autre stratégie : l’anneau vaginal, qui s’insère comme un tampon une fois par mois. L’association œstrogène/progestatif protège d’une grossesse dans 92 % des cas.

La pilule contraceptive arrive en sixième position, qu’elle comporte un progestatif seul ou des œstrogènes en complément. Elle est jugée efficace à 91 %.

(1) Communiqué de la FDA

(2) Les études publiées par Natural Cycles

(3) Évaluation de l’application par l’Agence suédoise des produits médicamenteux

Audrey Vaugrente

Audrey Vaugrente

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