Erwan Seznec
Consommation (infographie)30 ans de changements à la loupe
À l’occasion des 30 ans de notre enquête prix dans la grande distribution, nous avons examiné les biens dont les prix ont flambé ainsi que ceux qui ont au contraire diminué. Un exercice délicat pour des conclusions assez surprenantes.
Les smartphones n’existaient pas. Il y avait une seule ligne de TGV dans tout le pays, sur le trajet Paris-Lyon. Les supermarchés Mammouth écrasaient encore les prix (le dernier s’est éteint en 2009). Michel Platini vantait la marque Fruité – « c’est plus musclé ». Avions, restaurants, bureaux de poste étaient en zone fumeur. Le CD et le Walkman à cassette de Sony venaient d’être commercialisés et Canal + devenait la première chaîne payante. Comme disait Stephen King, « même s’il est difficile de le croire, ces années-là ont vraiment existé ». L’écrivain américain parlait des années 1960, mais le jugement vaut également pour 1984, année de notre première enquête prix.
Certaines évolutions intervenues entretemps n’ont échappé à personne. Les premiers ordinateurs personnels lancés à cette époque coûtaient un prix faramineux pour des capacités aujourd’hui dérisoires : 128 ko de mémoire pour le premier Macintosh lancé en 1984, soit une calculatrice scientifique d’aujourd’hui… Sans surprise également, les budgets télécommunications de l’ère pré-connectée étaient plus faibles qu’aujourd’hui. Qui, en revanche, se souvient qu’il existait à l’époque deux tarifs pour la redevance, une pour les téléviseurs en couleur, l’autre pour les postes en noir et blanc ?
Alimentation
La baguette est inchangée à 3 minutes de travail, le poulet a un peu augmenté (30 minutes contre 27 en 1984). Les autres produits alimentaires sont plutôt en baisse, comme le litre d’huile d’arachide Lesieur qui demandait 18 minutes de travail et qui en vaut aujourd’hui l’équivalent de 14 minutes. Ce n’est pas une surprise. Le budget alimentation est en baisse sur le long terme en France, comme dans presque tous les pays développés.
Habillement et effets personnels
Chaussures
En 1984, il fallait 2 heures au salaire moyen net pour se payer une paire de chaussures de sport entrée de gamme en grande distribution. Le temps a été divisé par deux en 30 ans. Les chaussures viennent très probablement d’Extrême-Orient alors qu’elles pouvaient encore avoir été fabriquées en Europe dans les années 1980. Globalement, la part de l’habillement dans le budget des ménages a sensiblement baissé (6 % contre 10 % en 1984), sous l’effet des importations à bas prix.
Valise Samsonite
Elle coûte davantage aujourd’hui en temps de travail (24 h contre 18 h) mais elle est plus légère de 40 %. Idem pour une poussette canne (18 h contre 12 h), plus coûteuse mais mieux conçue en termes de confort et de sécurité, comme le montrent nos tests.
Rouge à lèvres Lancôme
Si révolution technique il y a eu, nous ne l’avons pas remarquée… Pourtant le rouge à lèvres Lancôme est devenu nettement plus cher, à 1 h 42 de travail contre 1 h 02 seulement il y a 30 ans. La référence n’est pas exactement la même. Pour mémoire, l’Autorité de la concurrence a lourdement sanctionné les grands noms de la cosmétique en décembre 2014, pour entente sur les prix.
Logement et eau
C’est sans doute l’information la plus déprimante de cette rétrospective. En 1984, il fallait 13,3 années de salaire pour acheter un 75 m2 à Paris. En 2014, il faut 23,5 années pour le même appartement. L’opération n’est plus envisageable pour un primo-accédant, à moins de gagner remarquablement bien sa vie. Les maisons individuelles (120 m2) ont flambé elles aussi, de 5,3 années à 9,7 années de salaires, mais elles restent abordables et elles ont progressé en qualité, sous l’effet des normes thermiques, électriques, etc.
Il serait inapproprié de dire qu’elle flambe, mais l’eau a considérablement augmenté ! La facture annuelle (120 m3) est passée de 17 h du salaire moyen à 31 h. Le coût des traitements liés aux nouvelles normes et de la remise à niveau des réseaux y contribuent certainement. En revanche, le coût du chauffage et l’éclairage n’ont quasiment pas bougé en équivalent temps de travail.
Équipement du foyer
C’est dans cette famille de produits que les baisses sont les plus marquées. Il fallait travailler 14 jours pour s’offrir un réfrigérateur en 1984, 6 jours suffisent désormais. Idem pour une télévision, sachant que les modèles que nous testons sont plus grands qu’il y a 30 ans. Pour un aspirateur, comptez trois jours en 1984, deux seulement aujourd’hui. Et rien ne permet de dire que les équipements actuels dureront moins longtemps que ceux des années 1980.
Golf GTI
Neuf mois de salaire pour rouler en golf GTI en 1984, quatorze mois aujourd’hui. Mais parle-t-on de la même voiture ? L’airbag, l’injection électronique ou le correcteur automatique de trajectoire (ESP) n’existaient pas il y a 30 ans. Les vitres électriques et la climatisation étaient des options coûteuses. L’électronique en général était embryonnaire, les moteurs polluaient davantage et étaient plus bruyants. Si l’équivalent d’une Golf GTI de 2014 existait en 1984, c’était sous forme de prototype à plusieurs centaines de milliers d’euros ! À noter que les dépenses de réparation et d’entretien des voitures en général sont en hausse sur le long terme. Les véhicules tombent moins en panne mais les réparations sont plus coûteuses.
Nos indications sur le prix des carburants sont un peu biaisées, car l’année 1984 correspond à un pic dans les prix. En comparant 1988 et 2008, on aurait pu dire que l’essence avait augmenté. Par ailleurs, le super n’est pas l’exact équivalent du sans-plomb. L’information à retenir est en définitive que le prix du carburant n’augmente pas toujours !
Jeux et loisirs
Un ordinateur Amstrad CPC 464 coûtait plus d’un mois de salaire (25 jours de travail, un mois en compte 22), contre 10 jours seulement aujourd’hui pour un MacBook infiniment plus puissant. Les raquettes de tennis ont également progressé de manière spectaculaire, et leur prix a beaucoup baissé : 6 h de travail pour la raquette de Nadal contre 15 h pour celle de McEnroe. L’insubmersible bateau pirate de Playmobil est désormais accessible. Le temps de travail pour se le procurer a été divisé par trois en 30 ans, et il est toujours fabriqué en Europe.
De notre côté, enfin, nous avons surveillé nos prix. Que Choisir coûtait 21 minutes de travail il y a 30 ans, contre 17 minutes aujourd’hui. Et le journal s’est amélioré : plus de pages, plus de tests, plus d’enquêtes.
Divers
La multirisque habitation augmente, mais c’est compréhensible. Une maison actuelle contient plus d’électroménager, plus de prises électriques, elle a le double-vitrage… Un sinistre est plus coûteux.
Les médecins réclament régulièrement des revalorisations de leur tarif. Dans les faits, sur la base de nos estimations, par rapport aux revenus moyens des Français, ils n’ont pourtant pas à se plaindre.
Notre méthode
Comparer les prix à 30 ans d’écart est un exercice délicat pour plusieurs raisons. La plus évidente est l’inflation. Cent francs de 1984 n’avaient pas le pouvoir d’achat de 15,24 euros d’aujourd’hui, mais plutôt de 27 euros. Par souci de simplification, nous avons décidé de parler en temps de travail nécessaire pour acheter tel ou tel produit. Une nouvelle difficulté a surgi : quelle rémunération retenir ? Nous avons opté pour les salaires nets moyens, soit respectivement 12 255 € annuels en 1984 et 26 267 € en 2014. Il fallait ramener ces sommes à des heures et des minutes. Pour 1984, nous avons retenu un temps de travail légal de 39 h, contre 35 h en 2014. Difficulté supplémentaire, énormément de produits ont changé. Une télévision ou une paire de chaussures de sport de 1984 ne sont pas l’équivalent exact de celles d’aujourd’hui, sans parler d’une maison individuelle neuve, nettement mieux isolée.
Les consommateurs aussi ont changé. Ils sont plus nombreux. La France est passée de 55 à 65 millions d’habitants. Les couples avec enfants sont passés de 39 % à 27 % des foyers, sous l’effet des séparations, mais aussi de l’augmentation du nombre de foyers de retraités, voire d’étudiants, que l’Insee compte séparément de leurs parents. Très surprenant, le taux d’activité est inchangé à 70 % de la population en activité. La hausse du chômage a été compensée par une plus forte proportion de femmes qui travaillent.
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