Arnaud de Blauwe
Conflit d’intérêtsRétropédalage chez les vétérinaires !
Dans la foulée de l’affaire du Mediator, une désignation pourrait faire désordre. Nommé par arrêté en décembre dernier, le président de la Commission nationale du médicament vétérinaire (CNMV), un organisme rattaché à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), est l’époux d’une cadre importante du groupe Merial, l’un des leaders mondiaux de la pharmacie animale. Interrogée par Que Choisir sur ce mélange des genres, l’Anses se livre à un subtil exercice de rétropédalage.
L’affaire du Mediator a mis en lumière les conflits d’intérêts pouvant exister dans le monde des médicaments destinés aux humains. Mais la question peut aussi se poser dans le domaine vétérinaire. L’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) chapeaute la Commission nationale des médicaments vétérinaires (CNMV), dont le rôle est de donner des avis sur les demandes d’AMM (autorisation de mise sur le marché), d’évaluer les effets indésirables chez l’homme et l’animal, de proposer des travaux ou enquêtes utiles à l’exercice de la pharmacovigilance…
Par arrêté du 22 décembre dernier (« Journal officiel » du 4 janvier 2011), Pierre-Louis Toutain a été nommé président de cet organisme créé par un décret du 26 juillet 2010. Professeur de physiologie thérapeutique à l’École nationale vétérinaire de Toulouse, il est aussi, comme en atteste sa déclaration publique d’intérêts sommairement remplie le 15 décembre 2009, le conjoint de la responsable pharmaceutique déléguée du site toulousain de Merial, l’un des leaders mondiaux des produits pharmaceutiques de santé animale (intégré au groupe Sanofi-Aventis en 2009). Cette usine y occupe d’ailleurs une place majeure, puisque les produits qui en sont issus représentent plus d’un tiers du chiffre d’affaires de Merial.
« Aucun intérêt de nature à compromettre leur indépendance »
En se gardant bien de tout procès d’intention, on ne peut que constater que la nomination de Pierre-Louis Toutain pose question. D’après les « règles déontologiques communes à tous les collaborateurs de l’Anses », ces derniers « ne doivent pas prendre part à des affaires où leur intérêt personnel, même indirect, peut se manifester. Ils ne peuvent avoir, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans les entreprises ou les établissements en relation avec l’Agence, aucun intérêt de nature à compromettre leur indépendance ».
Pour en savoir plus, nous avons joint les différents acteurs du dossier, ce qui a visiblement semé une certaine panique. La responsable presse de l’Anses nous a rapidement rappelés. « Le processus de nomination des membres de la CNMV n’est pas allé à son terme malgré la publication au “Journal officiel” de sa composition, nous précise-t-elle par courriel en date du 24 janvier. L’Anses souhaite se donner le temps d’examiner les éventuelles conséquences dans le domaine vétérinaire des questionnements actuels sur les dispositifs de pharmacovigilance. Elle procédera également à des vérifications d’éventuels conflits d’intérêts avant que la liste finale des membres de la Commission ne soit publiée. » La réalité est peut-être plus simple : les questions posées par Que Choisir ont semble-t-il obligé l’Agence à se livrer à un bel exercice de rétropédalage. Et rien ne dit que Pierre-Louis Toutain ne sera finalement pas « démis » de ses fonctions… avant même d’avoir commencé à les exercer !