Arnaud Murati
CarburantQuand la demande nourrit la spéculation
Les prix à la pompe se sont envolés dès le début de l’offensive russe en Ukraine. Il n’y a pourtant eu aucune rupture d’approvisionnement ou de demande supplémentaire du fait de la guerre. Les investisseurs ont préféré prendre les devants et ont artificiellement fait monter la demande et les prix, au grand dam des automobilistes. Décryptage d’une spéculation.
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L’économie mondiale commençait à reprendre des couleurs à la veille du déclenchement des hostilités en Ukraine. La consommation française de produits pétroliers était repartie à la hausse (+10,7 % de livraisons en février 2022), même si les niveaux de demande antérieurs au Covid n’étaient pas encore atteints. Ailleurs dans le monde, la situation paraissait similaire. La prévision de demande mondiale de pétrole pour le premier trimestre 2022 avait été réévaluée par l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) : 99,1 millions de barils par jour, au lieu de 96,7 consommés en 2021. Selon l’Opep, la reprise économique en Chine menait à un regain d’attrait pour l’or noir. Un retour à une demande soutenue donc, dans un contexte où les réserves de pétrole des uns et des autres laissaient à désirer. Le rapport de l’Opep du 15 mars 2022 indique en effet que « les stocks commerciaux de pétrole de l’OCDE ont baissé pour atteindre leur niveau le plus bas depuis 5 ans ». Selon Bloomberg, les niveaux de stocks de gazole seraient particulièrement faibles dans la zone dite Ara (Anvers, Rotterdam, Amsterdam), ce qui a une influence majeure sur les tendances et prix en Europe.
Montée brutale
Tandis que le cours du Brent montait sans discontinuer depuis le 21 décembre 2021, la cote était de 96,3 $ le baril à quelques heures de l’intervention russe en Ukraine. Le 24 février à 11 h, soit juste après le début des hostilités, le Brent culminait à 104,8 $ : +8,8 % en l’espace de 16 h. Le pic était toutefois atteint le 8 mars, avec un baril à 131,3 $. Que s’était-il passé entre temps ? La Russie, deuxième producteur mondial de pétrole après les États-Unis, avait-t-elle brusquement cessé sa production ?
En aucune manière, si l’on en croit le dernier rapport de l’Opep. « L’escalade en Europe de l’Est a suscité des inquiétudes quant à une perturbation de l’approvisionnement à court terme », expliquent les pays producteurs de pétrole, avant de se faire plus précis : « Les fonds spéculatifs et autres gestionnaires de fonds ont augmenté leurs positions en prévision d’une hausse des prix du pétrole. » Toujours selon l’Opep, les sanctions à l’égard de la Russie, notamment leur putative sortie du système bancaire Swift, feraient craindre aux investisseurs « de graves perturbations sur les exportations de pétrole brut et de produits pétroliers ». L’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime pour sa part qu’à partir d’avril, « 3 millions de barils par jour en provenance de la Russie pourraient s’interrompre » en raison des ces sanctions internationales.
L’AIE et l’Opep le reconnaissent donc de concert : la montée des prix du pétrole de ces dernières semaines ne s’est fondée que sur des craintes et des hypothèses, mais à aucun moment sur le moindre fait tangible.
Spéculateurs à tous les niveaux
Il n’y a toutefois pas que les fonds spéculatifs à se comporter de la sorte. D’après un reportage de France 3, « des entreprises de transport, des distributeurs de fioul ou des agriculteurs ont souhaité acheter plus que d’habitude, provoquant une tension sur la demande » en France. Pourtant, selon le secrétaire général d’Avia (deuxième réseau pétrolier national avec 700 stations-services) interviewé durant cette même séquence, « nous n’avons pas de pénurie », ce qui a conduit les stations-services Avia « à mettre en place des quotas de vente » pour lutter contre le phénomène.
Si le gouvernement français a choisi de ne pas polémiquer sur les origines de la crise, cela n’est pas le cas en Allemagne et en Italie. Dans ces deux pays, il semble ne faire aucun doute que la montée des prix des carburants est uniquement liée à un phénomène spéculatif. La structure de coordination des associations de consommateurs en Italie, Codacons, a ainsi fait savoir qu’elle a déjà porté plainte auprès de l’autorité antitrust et du parquet de Rome : « Les enquêtes du ministère public pourront déterminer s’il y a eu une spéculation qui a mené à une augmentation artificielle des prix de l’essence et du gazole […]. Codacons est en train d’étudier une éventuelle action collective à mener contre ceux qui seront reconnus coupables d’avoir augmenté les prix de manière injustifiée auprès du public », souligne l’association. Même tonalité en Allemagne. L’office fédéral de lutte contre les cartels a ainsi prévenu les pétroliers le 16 mars : « Si les prix du brut continuent de baisser et que les stations-services ne suivent pas la tendance ou au contraire continuent de monter, il faudra que l’on s’en préoccupe », menace l’institution. En France, l’UFC-Que Choisir réitère sa demande d’abolir l’aberration fiscale de la TVA sur les taxes. En effet, la TVA s’applique non seulement au prix hors taxes de l’énergie, mais également aux multiples taxes frappant spécifiquement l’énergie.
Décomposition du prix de 1 litre de gazole et de 1 litre de SP95-E10
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