Anne-Sophie Stamane
Cancer du seinLe dépistage en question
Difficile d’échapper au battage médiatique autour du dépistage du cancer du sein. Tout est mis en œuvre – y compris la culpabilisation de l’entourage - pour convaincre les femmes de plus de 50 ans de se soumettre à une mammographie. Le dépistage n’a pourtant pas l’impact attendu sur la mortalité.
Ne pas avoir entendu parler du cancer du sein ces derniers jours relève de l’exploit. Radio, télé, journaux, Internet : tous les supports sont bons, à l’occasion d’« Octobre rose », le mois contre le cancer du sein, pour alerter la population contre cette maladie. Et inciter les femmes, dans le même élan, à se soumettre au dépistage. Les manifestations de toutes sortes foisonnent : on court contre le cancer du sein, on chante contre le cancer du sein, on prend l’apéritif contre le cancer du sein, on gonfle des ballons contre le cancer du sein, et, dans la plupart des grandes villes de France et d’Europe, on déploie des rubans roses géants, en référence au ruban rouge de la lutte contre le sida. Certains boulangers ne sont pas en reste, puisqu’ils emballent leurs baguettes de pain dans un papier qui encourage au dépistage organisé.
Reste qu’avant octobre, il y a eu septembre. Et en septembre a paru dans le « New England Journal of Medicine », en toute discrétion, une étude incluant 40 000 femmes norvégiennes qui relativise fortement l’impact du dépistage organisé par mammographie sur la mortalité par cancer du sein (1). Il en ressort que le taux de décès des femmes atteintes d’un cancer du sein n’ayant pas bénéficié du dépistage est très légèrement supérieur à celui des femmes décédées ayant suivi un programme de dépistage : la différence est de 2,4 décès pour 100 000 femmes par an. Les auteurs de l’étude soulignent qu’il est « impossible de déterminer si cette baisse de mortalité résulte des diagnostics précoces associés au dépistage par mammographie ou de la conduite du traitement par une équipe multidisciplinaire ».
Ce faible bénéfice de la mammographie est à mettre en regard de ses effets négatifs, trop rarement évoqués. L’équation est simple : d’après les données de cette nouvelle étude, il faut, pour sauver 1 vie, dépister 2 500 femmes pendant 10 ans. Mais 500 d’entre elles recevront à un moment ou à un autre un diagnostic positif qui se révélera faux par la suite. Cinq à 15 seront traitées, y compris par chirurgie, alors qu’elles n’en avaient pas besoin.
Pour arbitrer en toute connaissance de cause, chaque femme devrait avoir ces données en main. L’actuelle campagne autour du dépistage, basée sur la culpabilisation, ne favorise pas, loin s’en faut, une décision sereine et éclairée.
(1) Effects of screening mammography on breast cancer mortality in Norway, M. Kalager et al., New England Journal of Medicine, 23 septembre 2010.