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Burger aux versAutorisée ou non, la vente d’insectes ?

Les insectes ne font pas partie des traditions culinaires françaises, mais les consommer comme sources de protéines en lieu et place de la viande fait son chemin dans les esprits. Il est d’ailleurs facile de s’en procurer, dans quelques commerces ou sur Internet. Mais est-ce vraiment autorisé ? Selon les fabricants de produits à base d’insectes, la réponse est oui, alors que la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) estime ces produits illégaux, chacun invoquant le règlement européen Novel Food. Décryptage.

Goûter un burger aux insectes ? Non merci ! Oh, après tout, pourquoi pas ? Pour en parler, c’est mieux de l’avoir testé – un principe à Que Choisir ! J’ai donc répondu « oui » à FoodChéri, une entreprise de livraison de plats préparés qui lançait une « édition limitée » d’un burger garni aux molitors. Et maintenant, le burger est posé dans une assiette devant moi, sous mon regard circonspect. Je scrute la galette sombre qui remplace la viande, à la recherche d’ailes, de pinces ou de pattes, avant de me souvenir que les larves de molitors, appelées aussi vers de farine, ont été préalablement broyées avant d’être mélangées aux autres ingrédients – carotte, betterave, pois chiche, haricots rouges, curcuma et piment rouge. Je renifle. L’odeur est légère et n’évoque en aucun cas un bon steak saignant. Mais le cofondateur de FoodChéri, Patrick Asdaghi, m’avait prévenue : il ne faut pas s’attendre à trouver l’équivalent d’un burger à la viande. Il s’agit d’un autre produit, à comparer plutôt aux alternatives végétariennes. Soit. Reste à sauter le pas, et à croquer. Une demi-douzaine de collègues me regardent, amusés, prêts à me porter secours au cas où je m’étranglerais. Mais non, rien d’explosif. La texture est un peu trop molle à mon gré. Quant au goût, il n’évoque aucunement un insecte – d’ailleurs, ça a quel goût, un insecte ? Finalement, quatre collègues testeront aussi, ne résistant pas à la curiosité.

Le burger aux vers que nous avons goûté.

Un burger illégal ?

À la satisfaction d’avoir surmonté ma répulsion initiale, s’ajoute le frisson de l’interdit. Car si j’en crois la Répression des fraudes, ce burger était illégal ! « Toute commercialisation [d’aliments à base d’insectes] à des fins de consommation humaine reste illicite aux yeux de la DGCCRF », me dit-elle. Je suis donc une criminelle, et FoodChéri aussi ?

Pourtant, acheter des aliments à base d’insectes n’est pas compliqué, il suffit de taper ces mots-clés sur Internet pour passer commande en quelques clics. En France, les fabricants ont joué sur une ambiguïté du règlement européen sur les nouveaux aliments, dit « Novel Food ». Ce règlement, dans sa version initiale de 1997, n’incluait pas formellement les insectes entiers dans son champ d’application, mais seulement leurs dérivés. Plusieurs pays de l’UE (Royaume-Uni, Belgique, Pays-Bas et Finlande) ont donc estimé que la vente d’insectes ne nécessitait pas d’autorisation des autorités, et l’ont tolérée. La France, à l’inverse, en a eu une lecture stricte, considérant une autorisation nécessaire. La DGCCRF précise qu’« à ce jour, aucune autorisation n'a été accordée », même si « des demandes sont en cours d'évaluation ». Du fait de la longueur de la procédure, aucun vendeur n’a encore obtenu ce sésame.

Pas encore d’autorisations en France

Conséquence de cette interprétation restrictive, tout insecte vendu aujourd’hui en France l’est illégalement, qu’il soit entier, broyé ou pressé… La start-up Jimini’s, qui livre FoodChéri en farine de molitors, en a fait les frais en 2014 : elle s’était vue saisir des boîtes de criquets et de grillons par la DGCCRF placée sous la tutelle du ministère des Finances, tout en recevant un prix de l’innovation décerné… par le ministère des Finances. L’entreprise a contesté. L’affaire est passée devant la Cour d’appel, puis le Conseil d’État qui a saisi en juillet 2019 la Cour de justice de l’UE… Et rien n’est tranché aujourd’hui, alors que tout devrait être réglé d’ici la fin de l’année.

En effet, la réglementation de 1997 a été toilettée. Depuis janvier 2018, une nouvelle version clarifie le cas des insectes entiers et des préparations à base d’insectes (1). Considérés officiellement comme de « nouveaux aliments », ils nécessitent désormais une autorisation avant toute mise sur le marché. Les premiers dossiers aboutiront sans doute bientôt. Mais pour les insectes déjà en vente avant 2018 ? Une mesure transitoire a été prévue par l’UE, afin de régulariser les francs-tireurs. Le Royaume-Uni, la Belgique et les Pays-Bas, pragmatiques, ont permis la poursuite des activités d’élevage, de transformation et de vente d’insectes. La France est restée sur sa position initiale. Chez Jimini’s, on soupire en espérant tenir jusqu’à une régularisation. En attendant, leurs petites bêtes proviennent d’éleveurs situés aux Pays-Bas, et 70 % de leurs ventes se font chez nos voisins.

Une protéine qui a de l’avenir

En France, l’idée de manger des insectes provoque généralement une réaction de dégoût. Pourtant, ils sont déjà consommés de longue date en Asie, en Afrique ou en Amérique latine : sauterelles ou grillons frits, larves de guêpes bouillies ou mijotées, abdomens de fourmi confits ou vers de palmier moelleux comme du foie gras… Les recettes abondent, et il va falloir les tester aussi en Occident. Car la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture) recommande depuis plusieurs années de les ajouter à nos menus (2), et un récent rapport publié par le ministère de l’Agriculture souligne leur intérêt (3) – tout en signalant plusieurs « risques potentiels » : allergiques (les insectes sont des arthropodes comme les acariens et les crustacés), microbiologiques (liés aux conditions d’élevage) et endogène (du fait du venin que certains synthétisent). Face aux crises climatiques et de biodiversité, et dans un contexte de pression sur les ressources alimentaires, les insectes apparaissent comme une alternative à la viande pour apporter à l’homme sa ration de protéines de qualité et de vitamines du groupe B, en utilisant nettement moins de ressources (terre, eau, végétaux…) et en dégageant très peu de gaz à effet de serre.

Certains ne s’y sont pas trompés. Des start-up se sont lancées depuis quelques années, en France et en Europe. Elles ont débuté dans le champ de l’alimentation animale, à l’instar de la française Ynsect. Puis elles se sont tournées vers l’alimentation humaine. Ainsi, Micronutris propose sur son site des grillons « délicieusement aromatisés » ou des « crackers aux insectes entiers » pour l’apéro, une barre énergétique aux graines de courge et ténébrions. Jimini’s élabore aussi, à côté de ses « insectes apéro », des granolas, des barres énergétiques et des pâtes protéinées.

(1) Règlement (UE) n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015.
(2) Forest insects as food: humans bite back, FAO, février 2010 ; Insectes comestibles, Perspectives pour la sécurité alimentaire et l’alimentation animale, FAO et université de Wageningen, mai 2013.
(3) Diversification de la ressource protéique en alimentation humaine et animale - État des lieux et perspectives, CGAAER, septembre 2019.

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