Florence Humbert
BiodiversitéNouvelles menaces sur les abeilles
Alors que 2010 est consacrée « Année de la biodiversité », les abeilles continuent de mourir en masse. Et ce phénomène n'est malheureusement pas prêt de s'arrêter. Selon l'Union nationale des apiculteurs français (UNAF), aux violents insecticides s'ajoute une nouvelle menace : l'invasion du frelon asiatique sur notre sol.
Le désarroi des apiculteurs ne cesse d'augmenter face au dépérissement, depuis une quinzaine d'années, des colonies d'abeilles, qui peut atteindre 20 à 30 % dans les zones de grande culture. La diminution du nombre de ruches va de pair avec la baisse de la production de miel, qui est passée de 32 000 tonnes en 1995 à 20 000 tonnes en 2005. Lors d'une conférence de presse, le 17 février dernier, l'Union nationale des apiculteurs français (UNAF) a, une fois de plus, mis en accusation les insecticides néonicotinoïdes, qu'elle tient pour responsables de cette hécatombe. Utilisés en enrobage des semences ou en pulvérisation, ces produits sont soupçonnés de s'attaquer au système nerveux des abeilles. Désorientées, elles sont incapables de retourner à la ruche. « On retrouve alors nos abeilles mortes en plein champ, mais pour les pouvoirs publics qui ne prennent en compte que les mortalités aiguës, ça ne compte pas », déplore Sophie Dugué, apicultrice dans la Sarthe et spécialiste des pesticides à l'UNAF.
Après le Gaucho, interdit sur le maïs et le tournesol, mais qui reste largement utilisé pour les céréales, le ministère de l'Agriculture a autorisé pour la troisième année consécutive la mise sur le marché du Cruiser, un insecticide de la même famille, et vient d'en homologuer un troisième, le Protéus, juste à temps pour les semis de printemps. Les apiculteurs sont très inquiets car ce produit sera utilisé en pulvérisation sur les plantes, notamment sur le colza, jusqu'à la veille de la floraison. « Ces insecticides dits "à haute persistance" se retrouvent du semis à la floraison, mais aussi lors du phénomène de guttation. Des études ont démontré que les jeunes plantes issues de graines enrobées avec ces insecticides secrètent un liquide devenu hautement toxique pour les insectes pollinisateurs. Il ne faut que quelques minutes à l'abeille ayant bu cette goutte pour mourir », précise Henri Clément, le président de l'UNAF, qui demande le retrait immédiat de tous les pesticides à base de néonicotinoïdes, d'autant qu'une étude récente de l'Inra confirme le rôle de ces produits dans la disparition des abeilles.
Le frelon asiatique, nouveau prédateur
Mais une autre menace, tout aussi grave, plane sur l'avenir des ruchers : le frelon asiatique (Vespa velutina). Identifié pour la première fois en 2005 dans le Lot-et-Garonne, ce prédateur, particulièrement redoutable pour les abeilles, est aujourd'hui présent dans 27 départements (essentiellement le quart sud-ouest de la France). « Il suffit d'un seul nid de frelons pour détruire cinq ruches », assure Richard Legrand, apiculteur à Bergerac et expert à l'UNAF. La technique du frelon en recherche de protéines consiste à camper en vol stationnaire au-dessus des ruches et à fondre sur sa proie dès qu'elle se montre. « À ce rythme, c'est une abeille qui disparaît toutes les vingt secondes. Et quand la colonie est épuisée, c'est le pillage », ajoute M. Legrand.
L'UNAF rappelle que les abeilles ne sont pas les seules victimes du frelon asiatique. Beaucoup d'autres espèces auxiliaires et utiles sont aussi mises en danger. C'est donc l'ensemble des pollinisateurs qui risque de disparaître, compromettant ainsi la production de nombreuses productions fruitières, mais aussi agricoles, notamment le colza et le tournesol.
Contrairement à son cousin européen, Vespa velutina n'est pas agressif lorsqu'il chasse. Mais lorsqu'il est surpris à proximité de son nid, toujours installé en extérieur (cheminées, appui de fenêtre, haies...), il réagit alors avec force. Il est déjà à l'origine de plusieurs accidents dans le Sud-Ouest, dont le décès d'un homme d'une quarantaine d'années qui a succombé en septembre 2008 après avoir été piqué à quatre reprises à la tête.
« Nous sommes stupéfaits par le manque de réactivité des pouvoirs publics », poursuit Henri Clément. « On nous avait enfin promis, en décembre, la création d'une cellule de crise, mais à la mi-février, rien n'est fait. Les apiculteurs sont désemparés, ils se sentent abandonnés. »
Il est pourtant tout à fait possible de limiter le développement de cette espèce. Pour l'UNAF, la solution passe par l'organisation d'un piégeage des femelles au printemps, actuellement laissé au bon vouloir de chacun, et par le financement de la destruction des nids. En l'absence de telles mesures, l'infestation devrait finir par se stabiliser toute seule. Mais au prix de la disparition de nombreuses espèces d'insectes volants utiles à la pollinisation et à la régulation des parasites des végétaux. Un comble en 2010, année internationale de la biodiversité.