Florence Humbert
AspartameLa polémique continue
Une étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) conclut à l’innocuité de l’aspartame. Mais le Réseau environnement santé (RES) et des ONG s’indignent et réclament des études réellement indépendantes.
« L’aspartame et ses produits de dégradation sont sûrs pour la consommation humaine ». C’est la conclusion de la dernière étude publiée le 10 décembre 2013 par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa). Elle affirme qu’« aux niveaux actuels d’exposition », ce « faux sucre » utilisé dans plus de 6 000 produits (sodas, yaourts, desserts, médicaments, etc.) ne pose pas de problème de toxicité. « Cet avis représente l’une des évaluations les plus exhaustives des risques associés à l’aspartame jamais entreprises », a déclaré le docteur Alicja Mortensen, présidente du groupe scientifique de l’Efsa sur les additifs alimentaires.
De quoi rassurer les industriels de l’agroalimentaire, à commencer par Coca-Cola, qui avait vu ses ventes de sodas light chuter à la suite de plusieurs études scientifiques suggérant un lien entre aspartame et la survenue de diverses pathologies. Visiblement soulagée, l’Association internationale pour les édulcorants (ISA) s’est d’ailleurs félicitée, dans un communiqué, de cette prise de position européenne sur « l’innocuité » de l’aspartame. Pas sûr, cependant, qu’elle suffise à mettre un terme aux polémiques récurrentes que suscite cet édulcorant depuis sa mise sur le marché en 1982. Ainsi, en 2006, des chercheurs italiens mettaient en évidence le développement de tumeurs chez le rat, dès la dose de 20 mg/kg de poids corporel/jour. Une étude danoise menée sur des femmes enceintes et publiée fin 2010 concluait également que la consommation d’au moins une boisson gazeuse édulcorée par jour pendant la grossesse augmentait le risque de naissances prématurées.
Pas de risque de cancer selon l’Efsa
En France, ces études avaient été examinées par l’Agence nationale de sécurité de l’alimentation (Anses) qui avait estimé qu’elles n’étaient pas suffisamment probantes mais jugé néanmoins nécessaire de conduire des « travaux scientifiques complémentaires ». C’est dans ce contexte que l’Efsa a mis en place un groupe de travail « chargé d’évaluer les bénéfices et les risques nutritionnels des édulcorants intenses et la nécessité éventuelle des recommandations pour les populations sensibles, parmi lesquelles les femmes enceintes ». Au terme d’une consultation publique en ligne auprès d’universités, d’agences nationales, d’industriels ou d’ONG, les experts de l’Efsa ont conclu que la dose journalière acceptable (DJA) actuelle de 40 mg/kg/jour constituait « une protection adéquate pour la population générale ». Concrètement, cela signifie que pour atteindre cette DJA, un adulte de 60 kg devrait sucrer quotidiennement son café avec une centaine de sucrettes à l’aspartame ou avaler quotidiennement douze canettes de boissons light, dosées au niveau maximum autorisé, ce qui est rarement le cas. Selon l’Efsa, il n’existe pas de risque potentiel que l’aspartame puisse provoquer un cancer ou affecter le fonctionnement cognitif des enfants et des adultes. En ce qui concerne la grossesse, les experts ont également exclu le risque pour le développement du fœtus, sauf chez les femmes enceintes souffrant de phénylcétonurie, une maladie génétique rare.
Études issues de l’industrie
Des conclusions qui sont loin de convaincre le Réseau environnement santé (RES), qui regroupe scientifiques, associations de malades et ONG. Le réseau souligne ainsi que la dose journalière de 40 mg/kg/jour a été édictée sur la base d’études issues de l'industrie, datant des années 70, mais pas d'études scientifiques. « Les rapports qui ont servi à établir cette DJA n'ont jamais fait l'objet d'une évaluation indépendante, ce qui est pourtant la première étape d'une évaluation des risques », s'indigne le réseau. Et d’ajouter : « L’Efsa continue de produire des avis au mépris des règles de base de la déontologie de l'expertise et de couvrir ainsi une fraude manifeste ». Le réseau demande la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire en France et en Europe sur ces manquements graves, tant de l'Efsa que de l'Anses concernant l'aspartame.
Si les soupçons qui pèsent sur l’aspartame sont donc loin d’être levés, il existe un large consensus scientifique sur le fait que ces édulcorants ne favorisent en rien une perte de poids. Bien au contraire, la frustration engendrant souvent un effet de compensation.