Erwan Seznec
Suspectée d’escroquerie et de blanchiment
Aristophil, société spécialisée dans l’investissement dans des lettres et manuscrits, est suspectée d’escroquerie et de blanchiment en Belgique. Une commission rogatoire internationale a été transmise aux autorités françaises.
Ce n’est pas la Bérézina, mais plus tout à fait Austerlitz. Spécialisée dans le négoce de manuscrits rares et de lettres autographes, la société Aristophil avait commencé la semaine par un coup d’éclat : l’achat aux enchères à Fontainebleau de deux documents manuscrits de Napoléon 1er, pour un total de 562 000 €, soit dix fois supérieur aux estimations !
La suite est moins glorieuse. Le site de la radio belge RTBF a annoncé hier l’ouverture d’une enquête sur Aristophil, qui est également installée à Bruxelles, pour escroquerie et blanchiment. Des perquisitions ont été menées le 6 novembre 2012 au siège belge d’Aristophil, ainsi qu’au musée que la société a ouvert à Bruxelles ; musée qui a son pendant parisien dans des locaux luxueux, boulevard Saint-Germain, dans le VIIe arrondissement.
L’alarme aurait été donnée par la Cellule belge de traitement des informations financières (CTIF). Selon nos informations, l’enquête a été confiée au juge d’instruction Michel Claise et pourrait s’étendre. Une commission rogatoire internationale a en effet été transmise à la justice française.
Aristophil Belgique dément en bloc toute fraude. Selon son conseiller juridique, Jean-Jacques Daigre, « l’enquête belge pourrait trouver son origine dans une plainte déposée par Aristophil il y a 3 ans contre une ancienne salariée. »
Un marché douteux
Que Choisir avait fait part de ses interrogations sur le modèle économique d’Aristophil en 2011. La société propose aux particuliers de prendre des parts dans des manuscrits en indivision. Elle ne le fait pas en direct mais à travers un réseau de conseillers en gestion de patrimoine. Dans ses documents commerciaux, Aristophil laisse entrevoir (sans la promettre) une valorisation de 8 % à 9 % annuels. De nombreux spécialistes des manuscrits et des placements jugent ces ordres de grandeur extravagants. Selon eux, Aristophil entretiendrait artificiellement une hausse de la valorisation des manuscrits, en faisant monter les enchères sur ce marché très étroit. Le problème est qu’elle le fait avec l’argent des souscripteurs. Tant que ces derniers sont de plus en plus nombreux, le système tient. Dès que les entrées de capitaux frais ralentissent, la bulle risque d’exploser. Le créateur d’Aristophil, Gérard Lhéritier, s’était retrouvé impliqué dans une affaire similaire dans les années quatre-vingt-dix concernant des timbres de collection. Il avait été blanchi par la justice.
L’Autorité des marchés financiers avait fait part de son inquiétude vis-à-vis d’Aristophil dès 2007. Cela n’a pas empêché une grande institution comme la Bibliothèque nationale de France (BNF) de nouer un accord de mécénat avec Aristophil il y a deux ans. La BNF a accepté de la part de la société un don de deux millions d’euros visant à boucler le budget d’achat d’un incunable de grande valeur, La vie de Sainte-Catherine. D’après des sources internes à Aristophil, cette générosité s’inscrivait dans un accord avec l’État. Elle visait à apaiser les critiques du fisc français, qui s’interrogeait sur certains aspects de la gestion d’Aristophil. Les institutions belges sont apparemment moins flexibles. Bientôt Waterloo ?