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AristophilLes ventes de manuscrits saisis devraient bientôt commencer

Une décision récente du tribunal de grande instance de Paris donne le coup d’envoi de la vente des manuscrits saisis dans l’affaire Aristophil. Mais une nouvelle controverse s’ouvre déjà : sur combien d’années faudra-t-il étaler la cession du stock pour ne pas inonder le marché ?

Dossier Aristophil, suite. Le courtier en manuscrits, contre lequel Que Choisir avait mis en garde le public dès 2011, a été placé en liquidation judiciaire en août 2015. La juge d’instruction Charlotte Bilger poursuit son enquête. Elle a entendu plusieurs fois l’ex-patron d’Aristophil, Gérard Lhéritier. Mis en examen pour escroquerie en bande organisée, laissé en liberté, ce dernier nie toute malversation, dénonçant un complot de la Justice et du ministère de la Culture.

Parallèlement, la vente du stock Aristophil s’organise. Elle s’annonce particulièrement délicate. Il est question de 18 000 investisseurs pour un total de plus de 30 000 contrats, portant sur plus de 130 000 lettres et manuscrits, dont la valeur se chiffre en centaines de millions d’euros, peut-être un milliard. Des pièces exceptionnelles côtoient des lettres qui seraient négligeables si elles n’étaient pas signées par des grands noms des arts ou de la science.

Comment le marché singulièrement étroit des autographes va-t-il absorber cette marée ? C’est toute la question. Le 16 mars 2017, le tribunal de grande instance de Paris a rendu une décision qui rend les ventes possibles. Plus de 80 % des manuscrits ont été partagés entre des dizaines de particuliers, par un mécanisme d’indivision qu’Aristophil avait instauré. Le jugement du tribunal de grande instance permet de sortir de ces indivisions sans avoir à recueillir l’accord de tous les indivisionnaires – ce qui aurait rendu cauchemardesque une affaire déjà très complexe.

Ce protocole a été validé par trois associations de défense des investisseurs : l’Adilema, l’ADC54 et l’AICLM. Les deux premières donnent toutes les garanties de fiabilité. L’AICLM, un peu moins. Elle est animée par d’anciens courtiers qui ont vendu des produits Aristophil et qui se présentent aujourd’hui comme des victimes.

Un gestionnaire du stock déjà controversé

L’organisation des ventes se fera sous la surveillance de l’administrateur judiciaire et des associations de propriétaires. Elle a été confiée à la maison parisienne Claude Aguttes. Cette dernière doit assurer la conservation des manuscrits, mais également organiser leur expertise et caler un calendrier de ventes aux enchères réaliste. La maison Aguttes ne vendra pas tout elle-même : vu l’ampleur de la tâche, elle doit trouver d’autres opérateurs de ventes volontaires (OVV).

Le choix d’Aguttes par la Justice, en octobre 2016, a été simple : il n’y avait pas d’autre candidat. Pour diverses raisons, il a toutefois provoqué quelques remous dans le monde des lettres et des manuscrits. La réputation de la maison Aguttes a été écornée en 2012. Le Conseil des ventes volontaires (CVV) avait prononcé à son encontre une suspension d’activité de deux mois pour la vente aux enchères d’un tableau d’une authenticité douteuse. Il était reproché à Aguttes non pas d’avoir vendu un faux en connaissance de cause, mais d’avoir travaillé avec un expert en tableaux controversé et d’avoir tardé à admettre des dysfonctionnements. « Claude Aguttes n’est en aucun cas un second Gérard Lhéritier, commente un commissaire-priseur, mais c’est quelqu’un qui prend des risques, on le sait. » Il semble déjà en avoir pris un en s’engageant à ne pas facturer aux indivisionnaires de frais de garde des œuvres, alors que leur stockage s’annonce coûteux !

Des ventes étalées sur 10 ans

Un collège d’experts en manuscrits doit encadrer le travail d’Aguttes et celui des OVV. Ils ne sont pas encore désignés. Le 7 février 2017, la Compagnie nationale des experts (CNE) et la Chambre nationale des experts spécialisés (CNES) ont créé une association, le Collège d’organisation des ventes et des expertises (Cove), dans l’intention explicite de s’inviter au dossier Aristophil et de… ralentir le processus de vente ! Celui-ci « s’échelonnera sur 10 ans au moins », prévient le Cove dans un résumé écrit de ses objectifs. Une affirmation déprimante pour les investisseurs particuliers, mais qui doit être prise au sérieux. Le CNES et le CNE rassemblent des personnalités fiables. Le président du CNE est Frédéric Castaing. Il est le seul expert à être inlassablement monté au créneau pour dénoncer les dérives d’Aristophil, à l’époque où la société faisait la pluie et le beau temps dans les ventes aux enchères de manuscrits. « Aujourd’hui, je suis inquiet, admet-il. Les délais de vente dont j’entends parler ne me semblent pas tenables », à moins de bâcler les expertises. Le Cove préconise de choisir des experts sur trois critères : « une expérience professionnelle de 10 ans minimum dans la spécialité, ne pas avoir été rémunéré par Aristophil dans le passé au titre d’une mission d’expertise et avoir un casier judiciaire vierge ». Des exigences élémentaires, mais qui éliminent d’office bon nombre d’experts en manuscrits, trop heureux de travailler avec Gérard Lhéritier du temps de sa splendeur.

Erwan Seznec

Erwan Seznec

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