Erwan Seznec
AristophilL’État veut récupérer des manuscrits du général de Gaulle
La justice dira le 20 novembre 2013 si des lettres du général de Gaulle, alors chef de la France libre, achetées par la société Aristophil en 2011, lui appartiennent vraiment, ou si elles sont la propriété de l’État, en tant qu’archives publiques.
La première chambre civile du tribunal de grande instance de Paris a examiné le mercredi 16 octobre une question apparemment éloignée des préoccupations des consommateurs : entre 1940 et 1942, le général de Gaulle représentait-il l’État français ?
De la réponse, dépend le sort de 313 lettres et messages, achetés en 2011 par la société Aristophil aux descendants de Marie-Thérèse Desseignet, secrétaire du chef de la France libre à Londres. Si cette correspondance est celle d’une personne privée, Aristophil en reste légitime propriétaire. Si Charles de Gaulle, au contraire, est considéré comme un personnage public pendant cette période charnière, sa correspondance peut être revendiquée par l’État au titre du code du patrimoine, car elle entre dans la catégorie des archives publiques.
Le code du patrimoine stipule dans son article L. 221-4 que les archives publiques sont « les documents qui procèdent de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'État […] ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ». Le régime juridique de ces archives est simple : elles sont inaliénables et inexportables. Elles sont la propriété de l’État, qui peut les réclamer sans dédommager ceux qui en avaient la garde.
Le 16 octobre, l’avocat général est allé dans le sens du ministère de la Culture, qui voit dans cette correspondance un élément d’archives nationales. Les 313 messages (adressés à des collaborateurs du général, avec quelques écrits à Churchill ou Staline) sont depuis un an sous séquestre aux Archives nationales. Le jugement a été mis en délibéré au 20 novembre.
La société Aristophil, dont le modèle économique suscite de sérieuses réserves, avait acheté cette collection dans le but de la revendre en indivision à des investisseurs particuliers. Quelle que soit l’issue du litige l’opposant au ministère de la Culture, une question va rester sans réponse. Comment Aristophil, qui se présente comme le leader français du négoce des lettres et manuscrits anciens (le Musée des lettres et manuscrits lui appartient), a-t-il pu ignorer le risque que le code du patrimoine lui faisait courir en achetant ces lettres de Charles de Gaulle ?
Droit de réponse en date du jeudi 21 novembre 2013
Un article intitulé «L’État veut récupérer des manuscrits du général de Gaulle» publié le 26 octobre sur le site www.quechoisir.org, est consacré à l’action engagée par l’État pour se voir remettre les manuscrits du général De Gaulle acquis par la société Aristophil.
Il est indiqué que la société Aristophil aurait « ignoré le risque que le code du patrimoine lui faisait courir en achetant ces lettres de Charles De Gaulle ».
La société Aristophil regrette que le journal Que Choisir n’ait pas informé ses lecteurs du fait que :
- Ces documents ont été vendus à la société Aristophil par le fils de Madame Marie-Thérèse Desseignet à qui le général De Gaulle les avait offerts.
- Un an auparavant, en septembre 2010 et conformément à la loi, le libraire Jean Raux a préalablement saisi les Archives nationales dont l’expert a examiné les documents en question, ne s’est en rien opposé à leur cession et n’a en aucun cas fait valoir que ces lettres étaient des archives publiques appartenant à l’État.
Contrairement à ce qui est affirmé dans l’article en cause, la société Aristophil s’était prémunie, en complète transparence, contre un risque de revendication par l’État.
En outre, l’article indique que « si cette correspondance est celle d’une personne privée, Aristophil en reste légitime propriétaire. Si Charles de Gaulle, au contraire, est considéré comme un personnage public pendant cette période charnière, sa correspondance peut être revendiquée par l’État au titre du code du patrimoine, car elle entre dans la catégorie des archives publiques ».
Or, l’article L.211-4 du code du patrimoine (et non L.221-4 mentionné à tort) définit les archives publiques comme « les documents qui procèdent de l’activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l’État (…) ou des personnes de droit privé chargées d’une telle mission ».
Dès lors, la question juridique posée à la 1ère chambre civile du Tribunal de grande instance de Paris n’est pas celle de savoir si Charles De Gaulle était un personnage public entre 1940 et 1942, ce que personne ne conteste, mais si, au-delà, il pouvait être considéré comme agissant, au nom de l’État ou à titre personnel, dans le cadre d’une mission de service public dont il aurait eu la charge alors qu’au même moment il avait été condamné à mort et déchu de sa nationalité par l’État français ».
Note de la rédaction
Dans cette affaire, la première chambre civile du tribunal de grande instance de Paris a donné raison le 20 novembre au ministère de la Culture contre la société Aristophil. Lire notre article.