Audrey Vaugrente
AlcoolUn prétendu remède contre la gueule de bois vendu en pharmacie
Dans les pharmacies, un complément alimentaire baptisé Alcoool et censé prévenir la gueule de bois est largement mis en avant. Il promet une soirée arrosée sans conséquences. Une promesse pour le moins excessive.
En caisse ou en rayon, aux côtés des compléments multivitaminés et des produits saisonniers, posée sur un joli présentoir, une bouteille se distingue par ses couleurs pop et sa promesse inhabituelle en pharmacie : « soulager la gueule de bois ». À l’intérieur, une boisson élaborée par Nonna Lab, entreprise française fondée par deux anciens étudiants d’école de commerce et membres de la même équipe de rugby. Ce complément alimentaire, baptisé Alcoool, est censé garantir des beuveries sans conséquences.
Aucune preuve d’efficacité
La boisson se compose de plusieurs plantes, vitamines et sels minéraux, le tout devant agir contre les effets de la gueule de bois – plus poliment nommée « veisalgie » par les scientifiques. Le principe est simple : il suffirait de consommer Alcoool avant de commencer à boire pour neutraliser les dégâts d’une soirée un peu trop arrosée. Pour cela, les vitamines ont pour objectif de lutter contre la fatigue, quand le magnésium doit agir sur les performances intellectuelles. Leur efficacité n’est pas démontrée.
Mais la star de ce complément, c’est la poire nashi qui, en boostant la production d’enzymes hépatiques, éviterait la gueule de bois. De fait, l’alcool est métabolisé par le foie. Mais il existe très peu de travaux sur l’efficacité de cette poire, et Nonna Lab ne s’est pas donné la peine de vérifier son efficacité en menant un essai clinique. Difficile, donc, de croire à une efficacité réelle. En outre, pour alléguer d’un quelconque effet sur la santé, il faut se référer à un registre européen, qui liste les allégations autorisées. On n’y trouve aucune trace de la poire nashi.
Faussement rassurant
Pour les spécialistes de la question, l’existence même d’un complément alimentaire censé prévenir la gueule de bois est problématique, en raison du message qu’il véhicule. « Si on se projette comme ayant une solution à la gueule de bois, on risque d’abuser de l’alcool au lieu d’aménager sa consommation », souligne la Dr Géraldine Talbot, médecin addictologue et membre de la Fédération Addiction. Se concentrer sur son élimination par le foie, c’est aussi oublier que l’alcool agit sur d’autres organes, en particulier sur le cerveau (voir encadré).
L’aura de sérieux dont s’enveloppe Nonna Lab, en s’appuyant sur un comité scientifique et en vendant le produit en pharmacie, est un autre signal inquiétant. « Le proposer en pharmacie lui donne une certaine caution, analyse Guylaine Benech, consultante-formatrice en conduites addictives et en prévention. Inconsciemment, les clients peuvent faire un parallèle avec les médicaments. »
Dans sa communication, le fabricant se positionne comme expert de la gueule de bois. « Boire de l’eau ne suffit pas », lit-on par exemple sur son site, qui suggère aussi de mélanger le complément alimentaire à une boisson alcoolisée. Malgré les rappels réguliers à « consommer avec modération », Nonna Lab a pris le parti d’inciter à boire beaucoup. En témoignent ses posts sur les réseaux sociaux, qui opposent au « Dry January » (janvier sobre) un « Happy February » (février heureux). « Ce message est complètement irresponsable sur le plan social, et en retard par rapport au mouvement de la société, qui s’oriente plus vers une diminution de la consommation d’alcool », commente Guylaine Benech.
Des dérives inquiétantes
À ce titre, le choix de s’adresser aux jeunes, plus sujets à une alcoolisation excessive (ou binge-drinking), a de quoi alarmer. En effet, l’alcool est un toxique pour le cerveau, particulièrement avant 25 ans alors qu’il est encore en maturation. « Quand le fabricant affirme que son produit contribue aux capacités intellectuelles, il souligne un problème qui a été constaté chez les jeunes qui s’adonnent au binge-drinking », signale Guylaine Benech. L’alcool est également la première cause de mortalité chez ce public.
Lors du lancement d’Alcoool, le fabricant a adopté une communication extrême, voire inquiétante. En s’appuyant sur les réseaux sociaux et sur des ambassadeurs étudiants, il a banalisé la consommation excessive d’alcool. Certains posts mettent en scène des enfants et dressent le parallèle avec un lendemain de fête. Glaçant.
« Ces fabricants reprennent les codes des alcooliers, analyse Guylaine Benech. En affichant les messages légaux incitant à une consommation modérée, ils se placent dans le registre de la loi Évin. Ça entretient une certaine dissonance. » Le message est d’autant plus ambigu que la loi Évin, depuis 2009, interdit toute publicité de mettre en valeur l’alcool dans un contexte de fête.
Crédibilité et sérieux
Les gérants de Nonna Lab ont manifestement pris conscience des limites de cette stratégie de communication. Celle-ci va être revue de fond en comble en 2024, nous annoncent-ils. Les partenariats avec des étudiants sont remplacés par l’embauche de commerciaux professionnels, par exemple. « Les ambassadeurs étudiants ont eu le mérite de dynamiser les choses et de nous faire monter en notoriété, reconnaît Dorian Barberan, directeur général de Nonna Lab. Mais on parle de santé, on propose des produits en pharmacie de qualité élevée. Nous souhaitons asseoir notre crédibilité, on propose donc une communication plus sérieuse. »
La forme change, donc, mais le fond demeure. Le marché est manifestement porteur : d’autres fabricants de compléments alimentaires proposent des remèdes à la gueule de bois, avec des noms plus ou moins inspirés (Hydratis, Myrkl, Rehab, Dionysos, Hangover). Mais ceux-ci sont généralement à prendre après une soirée arrosée, ou le lendemain matin. Et leur référencement en ligne, donc leur impact auprès des jeunes, n’est en rien comparable à celui de Nonna Lab.
La gueule de bois, un signal d’alerte
La veisalgie, ou gueule de bois, se produit après une alcoolisation excessive et ponctuelle, notamment du fait d’une déshydratation généralisée. Maux de tête, nausées, diarrhées, difficultés de concentration en sont autant de symptômes, qui témoignent d’une atteinte de nombreux organes et tissus. « C’est un signal d’alerte du corps, elle joue donc un rôle protecteur », rappelle la Dr Géraldine Talbot. Selon cette addictologue, un remède miracle contre la gueule de bois n’est pas forcément souhaitable. « L’excès peut servir à apprendre les effets négatifs d’une consommation excessive, donc à fixer les limites », estime-t-elle. Plutôt que d’ingérer un produit en prévision d’une soirée arrosée, mieux vaut donc lutter contre la déshydratation, en consommant une unité d’eau pour chaque unité d’alcool. Cette approche a aussi le mérite de ralentir le tempo.
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Expertes consultées pour cet article : Dr Géraldine Talbot, médecin addictologue et membre du conseil d’administration de la Fédération Addiction ; Guylaine Benech, consultante-formatrice et autrice du livre Les ados et l’alcool - Comprendre et agir.