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Alcool et jeunesLes influenceurs dans le collimateur

Les marques de bières, de spiritueux, de champagne ou de vins font désormais appel à des stars des réseaux sociaux pour mieux toucher les jeunes, cible favorite de leur marketing. La régulation actuelle de la publicité ne suffit plus à juguler ces pratiques, qui contreviennent à la loi Évin. Pour mieux protéger les consommateurs, il faut encadrer plus strictement les pratiques des influenceurs.

Des bouteilles de champagne dans un seau à glace, dans la salle à manger d’un hôtel de luxe au Costa Rica, aux Maldives ou à Courchevel ; un alignement de bouteilles de spiritueux au milieu de selfies sur le compte d’une mannequin ; des vidéos de dégustation de rhum, d’amis trinquant dans une soirée branchée ou de repas gastronomiques accompagnés de leurs vins ; le message d’une « nouvelle ambassadrice » de la marque affirmant que « Martini bianco est l’indispensable pour faire des cocktails »… Les vidéos et photos d’influenceurs ‒ dont certains revendiquent plus de 100 000, voire plus d’un million, de followers ‒ vantant une boisson alcoolisée dans un cadre esthétique ou dans des fêtes arrosées sont légion sur Instagram, TikTok ou Snapchat.

Et quand les marques apparaissent en gros plan, il y a de fortes chances qu’il s’agisse d’une publicité, en général non mentionnée comme telle. Ces promotions ciblent explicitement les jeunes, y compris les mineurs, qui surfent plusieurs heures par jour sur ces applications. Et ce, dans la plus totale illégalité. En effet, la plupart contreviennent à la loi Évin, qui régit la publicité pour les boissons alcoolisées depuis 1991. Elle énumère les supports permis (presse, sauf presse jeunesse, affichages) et les lieux autorisés et spécifie que la promotion de l’alcool ne doit pas l’associer avec la fête, le glamour, le sport, la convivialité, mais doit se limiter à la désignation du produit et rester strictement informative sur le degré d’alcool, l’origine, la dénomination, le mode d’élaboration et de consommation… Un message rappelant les dangers de l’abus d’alcool – mais pas de l’alcool lui-même ‒ doit également être diffusé : « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Consommer avec modération. »

Objectif : inciter les jeunes à boire

Les associations Addictions France et Avenir Santé ont relevé 11 300 contenus promouvant la consommation d’alcool, au cours d’une étude menée sur deux ans – un chiffre largement sous-évalué, tant les contenus sont nombreux et difficiles à repérer car éphémères. Une moitié est mise en ligne par une partie des quelque 10 000 influenceurs recensés en France, l’autre moitié par les marques d’alcool elles-mêmes, qui ont massivement investi les réseaux sociaux. Dans 8 cas sur 10, il s’agit de bières ou de spiritueux, et 2 cas sur 10 de vins et champagnes. Les grands groupes alcooliers internationaux sont de loin les plus représentés, via les marques Ricard (groupe Pernod Ricard), Heineken (groupe éponyme), Aperol (groupe Campari), Corona (groupe AB InBev), Grey Goose (Bacardi), Desperados (Heineken), Martini (Bacardi), Carlsberg, Bombay Sapphire (Bacardi)…

→ Lire aussi : Alcool - Les jeunes, une cible qui a de l’avenir

Ces stories et ces posts, sous forme de vidéos ou de photos, parfois spontanées mais généralement savamment mises en scène, infusent dans le cerveau des spectateurs un message simple : alcool = fête, convivialité, voyage et glamour. Le but : les inciter à boire. C’est même l’objectif intrinsèque du marketing, et les études scientifiques confirment leur efficacité : y être exposé augmente l’envie de boire et, in fine, la consommation. Et c’est d’autant plus efficace quand ce message est porté par les influenceurs, qui sont devenus « les références, les célébrités d’aujourd’hui, souligne Franck Lecas, juriste de l’association Addictions France. Elles font de la publicité, avec un impact important. »

Une influenceuse faisant la promotion d’une célèbre marque d’alcool sur Instagram.

Une consommation préoccupante

Or, le niveau d’ingestion d’alcool par les adolescents est préoccupant : l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) signalait en 2024 que 15 % des élèves de 4e et 3e, et plus d’un tiers des 17 ans ont pratiqué le binge drinking (ou beuverie express, qui consiste à ingurgiter le maximum d’alcool en un minimum de temps) dans le mois précédant son enquête ! Les conséquences pour la santé sont potentiellement lourdes, d’autant que le cerveau des jeunes est encore en construction ‒ il n’arrive à maturité que vers 25 ans.

Interdire la publicité sur les réseaux sociaux

Comment empêcher cette surexposition des jeunes au marketing de l’alcool ? La loi Évin, affaiblie au fil des ans sous l’influence du lobbying des alcooliers, n’y suffit plus. Des assouplissements ont été introduits, en particulier pour les vins sous signe de qualité, ainsi que des exemptions, comme une réautorisation de l’affichage dans les enceintes sportives. En 2009, la possibilité de diffuser des publicités sur Internet est autorisée, ouvrant la boîte de Pandore…

« Cette loi énumère ce qui est autorisé, mais pas ce qui est interdit, explique celui-là même qui l’a mise en place, l’ancien ministre de la Santé Claude Évin, lors de la publication de l’étude d’Addictions France et Avenir Santé. C’est devenu une faiblesse avec l’apparition d’Internet, où la publicité pour l’alcool est massive. Sur les réseaux sociaux, on voit une vie rêvée autour de la piscine, etc. Et dans cette vie rêvée, il y a de l’alcool… »

La loi sur les influenceurs, votée en 2023, n’a pas permis de réguler les dérives. Il faut aller plus loin. Une proposition de loi transpartisane portée par les députés Karine Lebon (GDR) et Loïc Prud’homme (LFI) et soutenue par 125 députés de différents bords politiques, déposée en décembre 2024, ambitionne donc de durcir le cadre et :

  • d’interdire aux influenceurs de faire toute publicité, directe ou indirecte, en faveur de l’alcool (mais aussi des boissons sans alcool dont le nom se réfère à une marque d’alcool) sur les réseaux sociaux ;
  • d’interdire toute publicité pour des alcools à moins de 250 mètres des établissements scolaires, et plus généralement des structures accueillant du public jeune ;
  • de durcir les sanctions pour les contrevenants, qui risqueraient jusqu’à 300 000 € d’amende (ou, pour les entreprises, 10 % de leur chiffre d’affaires ou 50 % des dépenses faites pour réaliser la publicité incriminée).

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