Florence Humbert
Agriculture biologiqueLe cuivre sur la sellette
L’autorisation européenne du cuivre pour les usages agricoles prend fin le 31 janvier 2019. Et son renouvellement divise les États de l’Union qui peinent à trouver un consensus. Le principal outil de lutte utilisé en agriculture bio contre les maladies pourrait donc voir son utilisation remise en cause au grand dam de la filière. Aujourd’hui se tient la réunion de la dernière chance.
Mise à jour du 28 novembre 2018
La décision vient de tomber : la Commission européenne a voté le 27 novembre la dose maximale de cuivre autorisée en agriculture à 4 kg/ha/an lissée sur 7 ans. Une réglementation qui s’appliquera à compter du 1er février 2019 tant en agriculture conventionnelle qu’en agriculture bio. « Malgré la limitation de la dose maximale de cuivre à 4 kg, qui va poser des problèmes dans certains vignobles, la décision de la Commission est une réelle avancée, à condition d’avoir un accompagnement fort des pouvoirs publics », nous a déclaré Jacques Carroget, secrétaire national viticulture de la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique).
Les idées fausses ont la vie dure. Pour nombre de consommateurs, le bio est synonyme d’absence de traitements. Hélas, il n’en est rien. Et pour cause. Ce mode de culture est autant exposé aux maladies et aux ravageurs que l’agriculture conventionnelle. Seuls les moyens utilisés pour les combattre font la différence. Alors que l’agriculture conventionnelle a recours aux produits de synthèse créés par l’industrie, l’agriculture bio n’utilise que des substances naturelles. Au premier rang de celles-ci figure le cuivre et ses dérivés, comme le sulfate ou l’hydroxyde de cuivre. Naturellement présent dans la croûte terrestre sous forme minérale, à des concentrations relativement importantes, ce métal est connu depuis la haute antiquité, entre autres pour ses propriétés antiseptiques. La « bouillie bordelaise », un mélange de chaux et de sulfate de cuivre, inventée en 1855 par un botaniste bordelais, Alexis Millardet, permet ainsi de protéger efficacement les vignes du mildiou et de l’oïdium. Sous d’autres formes, le cuivre est aussi utilisé comme pesticide dans les cultures maraîchères (pommes de terre, tomates, cucurbitacées…), l’arboriculture, ou même de grandes cultures comme le houblon.
Le cuivre, naturel mais pas sans risque
Mais « naturel » ne veut pas toujours dire sans risque. Comme il ne pénètre pas dans la plante, le cuivre est vite rincé. Les années de forte pression de l’oïdium ou du mildiou nécessitent donc de nombreux traitements pour protéger les récoltes. Or le cuivre, même s’il s’agit d’un oligoélément, n’est pas biodégradable et s’accumule dans le sol. « Des concentrations excédentaires en cuivre ont des effets néfastes sur la croissance et le développement de la plupart des plantes, sur les communautés microbiennes et la faune des sols », notait en janvier dernier l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), dans une expertise scientifique collective intitulée : « Peut-on se passer du cuivre en protection des cultures biologiques ? » Le sujet est d’une actualité brûlante : depuis 2015, le cuivre et ses composés sont inscrits sur la liste des « candidats à la substitution » ce qui signifie qu’ils sont « particulièrement préoccupants pour la santé publique ou l’environnement » et que des alternatives doivent être trouvées.
Comme tous les produits phytopharmaceutiques, l’homologation du cuivre au niveau européen est soumise à une réévaluation régulière, en l’occurrence tous les 7 ans. L’approbation précédente a pris fin le 31 janvier 2018, mais a été prolongée d’un an, faute de consensus entre les États membres. La nouvelle échéance est fixée au 31 janvier prochain. Il y a donc urgence à trouver une position commune. Pour trancher ce dossier épineux, la Commission européenne a demandé à l’Efsa, l'Autorité européenne de sécurité des aliments, de dresser un état des lieux des connaissances scientifiques en matière d’éventuels problèmes de santé, d’écotoxicité et de comportement de la substance active « cuivre » dans le sol.
Finalisé en décembre 2017, le rapport de l’Efsa est une synthèse des travaux de l’Anses et de l’UBA, les agences scientifiques de deux États membres rapporteurs sur cette question, respectivement la France et l’Allemagne. Basées sur l’évaluation des traitements à base de cuivre (hydroxyde de cuivre, sulfate de cuivre, bouillie bordelaise…) appliqués à la vigne, aux cultures de tomates et de cucurbitacées, ces études mettent en évidence les effets phytotoxiques du cuivre pour l’environnement, la faune aquatique, les mammifères et la vie des sols, dès lors que leur capacité d’absorption est dépassée. L’Efsa pointe aussi les risques sanitaires courus par les agriculteurs. Une surexposition chronique pouvant entraîner des accumulations dans le foie et les reins, ainsi que des irritations oculaires, l’agence recommande aux opérateurs et à ceux qui travaillent dans des champs déjà traités de porter des équipements de protection. Mais de nombreuses questions sont restées sans réponse, faute de données disponibles, notamment sur les risques pour les abeilles. Plus inquiétant encore, « l’évaluation des risques pour les consommateurs n’a pas pu être finalisée étant donné que les essais de résidus dans le cadre des bonnes pratiques agricoles (BPA) sur les raisins, les tomates, les cucurbitacées à peau comestible et les cucurbitacées à peau non comestibles étaient manquants », note le rapport. Des lacunes d’autant plus regrettables que le cuivre est le pesticide le plus souvent retrouvé dans les aliments bio.
Malgré ces incertitudes, la Commission européenne a proposé en mai dernier une nouvelle autorisation du cuivre, avec cependant une restriction de taille : la limitation des doses maximales à 4 kilos par an et par hectare, sans lissage, autrement dit, sans la possibilité de compenser les dépassements ponctuels en cas de pression sanitaire, par une réduction des traitements les années suivantes. Une proposition qui n’a pas manqué de susciter une levée de boucliers des organismes professionnels de l’agriculture biologique. Actuellement, le cuivre est autorisé dans les cahiers des charges bio à hauteur de 6 kilos par hectare et par an, lissables sur 5 ans. « En l’état actuel, la réduction des doses ne sera pas tenable sur une partie du territoire français, notamment sur la façade atlantique, dans la zone septentrionale de la Champagne où la pression du mildiou est forte en moyenne 3 années sur 10, s’alarme Jacques Carroget, vigneron bio en Pays de Loire et secrétaire national viticulture de la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique). Sans cuivre ou avec des quantités insuffisantes, nous verrions des viticulteurs bio dans l’incapacité d’y rester, et des viticulteurs qui souhaiteraient passer en bio y renoncer en totale incohérence avec les objectifs du plan Ambition bio 2022 ».
Pas d’alternatives à l’heure actuelle
La filière est donc loin d’être convaincue par le sombre tableau dressé par les autorités sanitaires. « Le problème de ces études, c’est qu’elles utilisent pour un minéral naturel, présent partout sur terre, la même méthodologie que pour des molécules chimiques, artificiellement créées par l’homme », critique Jacques Carroget. Son organisation demande donc une analyse de l’impact des usages actuels du cuivre sur l’environnement avec une méthodologie adaptée, ainsi qu’une étude de toxicité comparée entre le cuivre et les produits qu’il remplace lors de la conversion en agriculture biologique.
Pour autant, les agriculteurs bio sont bien conscients que la restriction de l’utilisation du cuivre est inéluctable. Fini le temps où les vignerons répandaient des doses de 15 à 20 kg de cuivre par hectare sur leurs vignes, dont 90 % partaient dans la terre et rendaient les sols stériles. Depuis 2002, les doses maximales recommandées oscillent entre 3 et 5 kg/ha/an. Mais en l’état actuel, il n’existe aucun produit de remplacement à 100 %. « On a des solutions partielles, qu’il faudrait arriver à mettre bout à bout », constate Marc Chovelon, de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab). Parmi elles, la génétique, et notamment la recherche de variétés résistantes tient une place importante. Mais assurer leur viabilité demande du temps. En attendant, nombre de techniques permettent de diminuer les doses de cuivre pulvérisées, des huiles essentielles aux tisanes ayant une action cryptogamique, en passant par la stimulation des défenses naturelles de la plante. Mais l’efficacité de ces méthodes alternatives reste limitée. Impossible, pour le moment, de se passer du cuivre.
Sensible à ces arguments, la France est montée au créneau et a demandé à la Commission européenne d’autoriser, dans le cas des cultures pérennes (vignes, arbres fruitiers), un dépassement limité de la dose maximale de 4 kg, dès lors que l’apport total ne dépasserait pas la quantité maximale fixée sur une période de 7 ans. Une proposition entérinée par la Commission européenne mais qui se heurte à l’intransigeance des pays du nord, Danemark et Pays-Bas en tête, qui ont interdit le cuivre en usage phytosanitaire. Le 23 octobre dernier, le comité d’experts européens chargés du dossier de réapprobation du cuivre s’est conclu par une « non-décision » ! Une réunion de la dernière chance se déroule ce 27 novembre à Bruxelles. Les débats promettent d’être agités.