Élisa Oudin
Agences de notationPremières brèches dans leur pouvoir ?
Les trois principales agences mondiales de notation (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch Ratings) font la pluie et le beau temps sur les marchés financiers, y compris sur celui de la dette des États. Des limites à cette toute-puissance seraient peut-être en train d’émerger.
La nouvelle a fait le tour des journaux : l’agence de notation Moody’s a décidé d’abaisser en début de semaine, soit un an après sa consœur Standard & Poor’s, la note de la France. Quelques jours auparavant, une autre information tombait, beaucoup moins relayée, mais peut-être pas moins lourde de conséquences à long terme. Un juge australien vient pour la première fois de condamner une agence de notation, Standard & Poor’s, en raison d’analyses publiées sur deux produits financiers.
Jugement ou opinion ?
Informations « fausses » et « trompeuses », « négligences »... Standard & Poor’s (S&P) est plus habituée à distribuer les mauvais points qu’à les recevoir. Ce sont pourtant bien les sévères critiques que lui a adressé la Cour fédérale d'Australie lundi 5 novembre, en estimant que l’agence avait attribué à tort la meilleure notation à deux dérivés de crédits complexes de la banque ABN Amro (Rembrandt 2006-2 et Rembrandt 2006-3). Le tribunal fédéral a condamné S&P, la banque et l’intermédiaire qui a commercialisé les titres, à indemniser 13 collectivités locales australiennes qui avaient investi dans les deux produits ainsi notés, « aveuglées par l’excellente notation de l’agence ». Et à leur rembourser la différence entre la somme investie et la somme récupérée (soit 14,5 millions de dollars). Avec la crise financière, ces titres se sont en effet vus dégradés au rang juste devant celui d’actifs « pourris ». Pour la cour, contrairement à ce qu’ont toujours soutenu les agences, leurs notations ne sont pas de simples opinions parmi d’autres (et en tant que telles protégées par la liberté d’expression du premier amendement de la constitution américaine), mais bien des jugements, donc susceptibles d’entraîner la responsabilité de leurs émetteurs.Décision fondamentale
Cette condamnation est d’autant plus importante que le pouvoir de fait des trois agences de notation est aujourd’hui exorbitant et quasi sans limites. Une dégradation peut en effet suffire à condamner à mort une entreprise. On se souvient par exemple des faillites Enron, Lehman Brothers ou Dexia pour n’en citer que trois : l’abaissement de la notation leur a brutalement coupé le robinet du crédit. Une telle décision peut également entraîner des États dans la spirale infernale du surendettement en faisant flamber les taux d’intérêt de la dette publique. Pourtant, jusqu’à présent les agences bénéficiaient d’une quasi-immunité. Quelles que soient les conséquences de leurs décisions, les entreprises comme les États n’avaient pas d’autres recours qu’un appel devant… l’agence elle-même. Aucune autre institution n’avait encore sanctionné ces sociétés d’analyse en estimant que les notes qu’elles distribuent engagent leur responsabilité.
L’Europe enquête
Après trois décennies de désengagement des États, on assiste peut-être aux prémices d’un retour vers plus de contrôle des agences de notation. Et ce d’autant plus que la décision de la Cour fédérale australienne (le procès a duré treize semaines) intervient alors que les agences sont désormais placées sous surveillance européenne. L'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) vient en effet d’ouvrir une enquête concernant les trois principales agences de notation pour déterminer si les méthodes d'évaluation des banques sont suffisamment rigoureuses et transparentes. Les conclusions devraient être connues d’ici quelques semaines. L’ESMA enquête notamment pour savoir si les agences disposent de « suffisamment de ressources en matière d'analyse », alors que les notes des agences sur les établissements financiers n’ont cessé de fluctuer.