Elsa Casalegno
Affaire LactalisLa séquence judiciaire s’ouvre
Si Lactalis croyait avoir tourné la page de la contamination à la salmonelle, il se trompait. Alors que la production de laits infantiles a repris le mois dernier sur le site de Craon (la tour contaminée a néanmoins été désaffectée), un juge d'instruction vient d'être désigné pour poursuivre les investigations.
Le mardi 9 octobre, le pôle santé publique du parquet de Paris ouvrait une information judiciaire contre X pour « tromperie sur les qualités substantielles des marchandises », « blessures involontaires ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à trois mois » et « inexécution par un exploitant du secteur alimentaire de procédures de retrait ou de rappel d'un produit préjudiciable à la santé ». Cette plainte contre X présente l’avantage de ne pas limiter l’instruction contre un seul des acteurs de l'affaire Lactalis, mais de pouvoir évaluer l’ensemble des dysfonctionnements et toutes les responsabilités, depuis la fabrication du produit jusqu’à sa vente aux particuliers.
Si le groupe Lactalis a assuré à Que Choisir ne pas avoir été « informé officiellement » de cette procédure et « collaborer avec la justice depuis le début », il pourrait ne pas être le seul à se retrouver dans le collimateur de la justice. Le laboratoire d’analyses Eurofins auquel Lactalis sous-traitait une partie de ses autocontrôles pourrait lui aussi être inquiété, tout comme les circuits de distribution des boîtes de lait maternisé et des autres produits ayant fait l’objet de rappels (grandes enseignes, mais aussi pharmacies, crèches et hôpitaux n'ayant pas correctement appliqué les procédures de retrait/rappel). Les services de l’État, en revanche, ne sont pas concernés.
Lactalis est sous le coup de plus de 300 plaintes déposées par des familles de bébés malades ou ayant consommé du lait potentiellement contaminé et par plusieurs associations. Parmi elles, l’UFC-Que Choisir, qui avait déposé une plainte auprès du tribunal de grande instance de Paris le 28 décembre 2017 et qui réfléchit aujourd’hui à se constituer partie civile.
Le point 10 mois après
Entre fin avril et début décembre 2017, au moins 53 nourrissons auraient contracté une salmonellose après avoir consommé du lait infantile contaminé issu de l’usine Lactalis de Craon, en Mayenne. Selon Michel Nalet, le porte-parole du groupe Lactalis, la contamination par salmonella agona serait survenue sur la plus ancienne des deux tours de séchage du lait entre le 1er et le 6 mai 2017, « probablement suite à une opération de maintenance sur la ligne de production ». La bactérie aurait survécu dans l’environnement depuis la contamination de 2005, avant d’être libérée dans l’atmosphère suite à des travaux dans l'usine. Trois mois plus tard, des prélèvements en autocontrôle avaient révélé la présence de salmonelles. Ces traces auraient été détectées sur les sols, et non dans les laits ou sur le matériel en contact avec ces derniers, précise Lactalis. C’est donc l’environnement, et non le produit, qui se révélait contaminé. Dans un tel cas, la décision d’arrêter ou non la ligne de production revenait à l’usine, qui n’avait pas d’obligation d’en informer les pouvoirs publics. Lactalis n’avait fait ni l’un ni l’autre.
Depuis, Lactalis assure avoir pris les mesures nécessaires. « Nous avons investi plus de 10 millions d'euros sur le site de Craon, détaille Michel Nalet. La tour de séchage à l'origine de la contamination a été totalement désaffectée et murée, et le reste du site a été réorganisé. » Les autocontrôles sont désormais réalisés par trois laboratoires extérieurs. Pas question pour Lactalis de délaisser le lucratif secteur de la nutrition infantile. Non seulement la production de lait infantile a repris à l’usine de Craon sous les marques Celia pour la distribution et Picot en pharmacie, mais en plus Lactalis a annoncé en septembre le rachat de la branche nutrition infantile du sud-africain Aspen Pharmacare pour 740 millions d'euros. L'industriel a encore les reins solides !
Quant à la gestion de crise, là aussi Lactalis fait du bout des lèvres son mea culpa : « La prochaine fois, nous verrons plus rapidement quelle est la bonne façon de prendre la parole. »