ACTION UFC-QUE CHOISIR

UFC-Que Choisir sur le projet de loi d'orientation et de programmation pour la justice

L'UFC-Que Choisir se félicite de l'augmentation des moyens qui sont alloués à la justice par le projet de loi. Notre association demande en effet depuis plusieurs années qu'un effort particulier soit fait en ce sens. C'est d'ailleurs l'avis unanime de toutes les missions parlementaires ayant approfondi cette question, tels les Rapports HAENEL ARTHUIS, CARREZ en 1994 et JOLIBOIS en 1997. Ces derniers réclamaient l'augmentation des effectifs du service public de la justice.

La pénurie de la justice ne peut plus, en effet, être décemment minimisée tant les chiffres sont consternants : le contentieux civil a augmenté de 300 % en 20 ans, et le nombre de magistrats n'a augmenté que de 20 % pour la même période. Au pénal, sur 4, 6 millions d'affaires pénales traitées, 3,2 millions sont classées sans suite faute de moyens. On assiste ainsi à un dévoiement du principe de l'opportunité des poursuites.

Le budget 2001 de la justice n'atteignait même pas 2 % du budget de la nation. La subvention versée annuellement par le ministère de l'industrie à certaines entreprises d'intérêt national équivaut, elle, à 2% du budget de la nation. Il est par conséquent évident que la revalorisation budgétaire et l'augmentation des effectifs doivent constituer les priorités de toute réforme du service public de la justice. Il convient cependant de relativiser les chiffres mis en avant par le projet de loi au regard de la période de cinq années sur laquelle cet effort budgétaire sera porté.

A noter en outre, qu'il n'est pas prévu dans ce projet de réforme que l'attribution de ces moyens supplémentaires soit répartie selon les juridictions en fonction des critères objectifs liés à leur charge de travail ainsi qu'à leur efficacité. Cette démarche nous semble pourtant indispensable face à l'inadaptation des moyens communément constatée.

I. Les réformes de la justice

Le service public de la justice doit tendre vers une justice plus simple, plus rapide, plus lisible et plus proche des citoyens. Notre association ne peut qu'adhérer à ce constat qui relève aujourd'hui de l'évidence. Cette nécessité, reconnue aujourd'hui par la Mission d'information du Sénat portant sur l'évolution des métiers de la Justice avait déjà été identifiée il y a huit ans (1994) par une autre mission du sénat composé de Messieurs ARTHUIS et HAENNEL, et par d'autres encore avant eux.

La réforme de la justice et plus particulièrement le « rapprochement de la justice et des citoyens » est devenu une marotte des gouvernements qui se sont succédés au cours des vingt dernières années. Depuis 1980 les rapports dénonçant l'éloignement de la justice et des citoyens se sont multipliés, tous plus argumentés les uns que les autres. Les projets de réforme ont été plus nombreux encore, et pourtant les solutions proposées n'ont jamais été à la mesure des problèmes recensés et visés.

Ce constat d'échec explique et légitime le projet du nouveau gouvernement qui se doit de répondre enfin aux attentes des français dans ce domaine. Toutefois, le volume et la qualité des travaux menés dans ce domaine, au cours des dernières années, ainsi que la précision des données disponibles n'autorisent pas à passer à coté des objectifs annoncés. Aujourd'hui, nous disposons d'une documentation fournie, exhaustive, chiffrée et concrète qui identifie de manière extraordinairement précise les dysfonctionnements de la justice française, les attentes des citoyens, et les besoins de réforme.

Toutes les analyses (publiques et privées) ainsi que toutes les données de terrain (litiges traités par nos associations, enquêtes journalistiques), convergent pour conclure que :

1. La justice doit être plus accessible

- Financièrement. Tous les Français doivent pouvoir y recourir quelque soit leur condition de fortune.

- Géographiquement. Tous les Français doivent pouvoir y accéder quelque soit leur situation géographique.

2. La justice doit être plus compréhensible.

- Le langage employé dans les décisions de justice doit être simplifié.

- Les procédures et conditions d'accès aux juridictions doivent être explicitées aux citoyens quelles que soient leurs compétences dans le domaine juridique.

3. La justice doit être plus sûre

- Elle doit apporter plus de sécurité juridique, et de fiabilité quant à l'application de la règle de droit.

- Elle doit être rendue par des magistrats véritablement indépendants.

- Elle doit être rendue par des magistrats compétents (formation juridique et pratique solide).

4. La justice doit être plus efficace

- Elle doit être plus rapide.

- Elle doit être plus effective : l'exécution des jugements doit être simplifiée et accélérée.

II. Le projet de loi déposé par le garde des sceaux répond-il à ces attentes ?

1. Les conditions financières d'accès à la justice

Ces conditions sont effectivement améliorées pour certaines populations spécifiques, telles les victimes d'infractions pénales. Toutefois les obstacles financiers qui restreignent l'accès à la justice pour les citoyens, dépassent très largement le champ des victimes d'infractions pénales. Ces obstacles sont constitués notamment par l'avance des frais d'expertise, ou des honoraires d'avocat, plus particulièrement dans les dossiers dont l'enjeu financier est proportionnellement faible par rapport à la complexité juridique ou technique.

Les obstacles financiers concernent également les conditions d'accès à la Cour de Cassation pour tous les litiges jugés en dernier ressort par le tribunal d'instance et dont l'enjeu est inférieur à 3 800 euros. Ces questions ne sont ni abordées ni réglées par le projet.

2. Les conditions géographiques d'accès à la justice

Le projet de loi fait totalement l'impasse sur la question de la carte judiciaire. Peut-on raisonnablement prétendre rapprocher nos concitoyens de leur justice sans aborder et régler le problème de l'implantation des tribunaux en France ? Pourtant, là-encore, les données ne manquent pas, pour ne citer que le très complet rapport CARREZ (voir aussi notre enquête : Que Choisir, avril 2002).

3. La simplification du langage judiciaire

Le projet fait également totalement l'impasse sur ce point qui constitue pourtant un élément clé du fossé de communication qui existe aujourd'hui entre les citoyens et nos structures judiciaires.

4. L'amélioration de l'information du citoyen sur le fonctionnement de la justice

A l'occasion des diverses expériences et études menées au sein des tribunaux d'instance, notamment celle réalisée auprès du Tribunal d'Instance de Dijon en 1991 les constats suivants ont pu être dressés :

- le consommateur a besoin d'être aidé pour formuler sa demande en justice ;

- le consommateur ignore les règles de procédure (par exemple, le principe du contradictoire) ;

Les réponses adaptées aux problèmes rencontrés par les consommateurs devant les tribunaux d'instance passent par une justice dont le justiciable peut connaître les "clés" : une justice qu'il rencontrera et qu'on lui expliquera au mieux de ses intérêts ; une justice d'aide au procès. Rien de tout cela n'est envisagé dans le projet.

5. la sécurité juridique et la formation des juges

Le Gouvernement n'adhère manifestement pas à cette préoccupation puisqu'au lieu de renforcer l'effectif et les moyens (notamment en terme de formation) des magistrats en cours d'exercice, il propose de créer un nouveau corps dont les attributions, les fonctions et les règles de fonctionnement seront exactement identiques à celles qui régissent les juges d'instance, avec la seule différence - et non des moindres - qu'ils seront moins formés.

Outre des connaissances juridiques de base, rien n'est envisagé quant à une formation continue des juges de proximité. Ces juges de proximité auront pourtant à statuer sur des questions difficiles qui nécessitent une connaissance approfondie du droit commun des contrats et de la législation consumériste.

La Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme (CNCDH) s'est déjà exprimée sur ce point au regard de l'avant-projet de loi et a stigmatisé les lacunes du projet. La création des juges de « proximité » ne peut être acceptable que si elle répond aux conditions essentielles de compétence, d'indépendance et d'impartialité qui sont exigées de tout juge en vertu des dispositions de la Constitution et de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Rappelons que ces juges ne seront pas amenés à statuer en équité mais en droit avec une motivation indispensable qui doit pouvoir être soumise à la critique des parties. Le déficit de compétence des juges de proximité est d'autant plus inacceptable que les décisions qu'ils prendront ne seront pas susceptibles de recours devant la Cour d'Appel. En tant que décisions rendues en dernier ressort, elle relèveront de la compétence de la Cour de Cassation, autant dire une barrière infranchissable pour le consommateur qui, s'il peut être enclin à saisir le juge d'instance, n'envisagera que difficilement de saisir la cour suprême.

Le projet de loi prévoit certes en matière civile la possibilité de saisir le juge d'instance en cas de difficulté juridique sérieuse ; cependant, cette possibilité est laissée à la libre appréciation du juge de proximité. Il ne nous paraît pas opportun de décharger les juges professionnels du traitement des litiges de faible enjeu financier. La commission de refonte du droit de la consommation en 1983 soulignait déjà l'absence de lien entre l'enjeu du litige et sa complexité juridique. La situation n'a pas changé aujourd'hui et l'association des juges d'instance le rappelle dans son commentaire sur le projet de loi : « Le prêt de 1 000 euros mérite autant d'attention que le prêt de 1 000 000 d'euros parce que c'est exactement la même opération juridique ». Les "petits" litiges de proximité méritent autant que les autres d'être rendus en droit par une juridiction qualifiée. Pour cela, il convient d'aider le juge à mieux exercer ses fonctions et non les lui ôter.

L'UFC-Que Choisir dénonce un projet qui instaure une justice à deux vitesses selon l'enjeu financier revendiqué par le plaignant.

6. l'indépendance de la justice

Le projet de loi prévoit que des compétences pénales étendues seront confiées au juge de proximité : contraventions des quatre premières classes et délits pour lesquels la procédure de composition pénale est possible. Or, la CNCDH s'est inquiétée de ce que le jugement d'affaires pénales soit confié à des juges non professionnels, et ceci tant du côté du siège que du côté du parquet puisque les fonctions du ministère public devant les juridictions de proximité pourront être exercées par des délégués des procureurs de la République (articles 45 et 46 du code de procédure pénale).

7. la rapidité de la justice

L'UFC-Que Choisir a, à de nombreuses reprises, stigmatisé les lenteurs de la justice et les difficultés rencontrées par les consommateurs qui tentent de faire régler leurs litiges. Dans ce domaine, le tribunal de grande instance et les juridictions administratives font piètre figure. Or, le projet de loi ne propose pas de solution aux délais de procédure devant ces juridictions. Il s'intéresse au tribunal d'instance alors que celui-ci fait plutôt office de modèle à cet égard.

La mission d'information du Sénat a souligné que grâce à leur souplesse de fonctionnement et leur taille humaine, les tribunaux d'instance étaient les juridictions qui fonctionnaient le moins mal en France. Les délais de jugement des tribunaux d'instance sont ainsi plus réduits que ceux des tribunaux de grande instance. En 2000, ils se sont élevés en moyenne à 5,1 mois (contre 8,9 mois pour les tribunaux de grande instance) sachant que la moitié des affaires ont été jugées en 3,3 mois (contre 5,1 mois pour les tribunaux de grande instance).

Notre enquête (Que choisir, avril 2002) a révélé que les plus grandes frustrations et incompréhensions des citoyens portaient sur les juridictions pénales ainsi que les tribunaux de grande instance dans leurs formations civiles. Les procédures simplifiées devant le tribunal d'Instance sont les plus volontiers recommandées aux consommateurs confrontés à un litige. Elles permettent de rétablir un certain équilibre dans leurs relations avec les professionnels.

Au lieu d'envisager la création de structures nouvelles qui conduiront à une complexification de l'organisation judiciaire, il nous semble plus judicieux de proposer des solutions aux difficultés des structures existantes. Aujourd'hui tous les constats convergent :

- le juge d'instance est submergé par la masse de dossiers de petits litiges ;

- le juge perd énormément de temps à mettre en état le dossier du consommateur non représenté par un avocat.

Il serait plus opportun de conforter, ainsi que le préconise la Mission d'information, les juges d'instance dans leur rôle de juges de proximité et dans leur missions de nature juridictionnelle. Cet objectif suppose, selon l'UFC-Que Choisir, une réorganisation du travail des juridictions en permettant notamment au magistrat de déléguer les taches administratives à des tiers. Or, rien encore une fois, n'est prévu dans le projet de réforme sur ce point.

8. l'effectivité de la justice (exécution des décisions de justice)

Le projet de loi fait l'impasse sur une question fondamentale. Les mauvaises conditions d'exécution des jugements aujourd'hui réduisent considérablement la portée et l'intérêt de tout notre système judiciaire.

III. Conclusion

Ces commentaires sur le projet de loi présenté par le Gouvernement, ne doivent pas nous détourner de notre objectif fondamental : créer un véritable service public moderne de la justice et le placer réellement au centre des préoccupations de l'Etat. La justice est, doit-on le rappeler, l'une des missions régaliennes essentielles, au même titre que la sécurité et la défense nationale.

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