Le temps n’est plus au laxisme avec les pesticides
L’UFC-Que Choisir rend publique aujourd’hui une analyse critique des 14 000 contrôles sanitaires officiels sur les aliments vendus en France qui révèle que plus de la moitié des fruits et légumes de l’agriculture intensive testés sont contaminés par des pesticides suspectés d’être cancérogènes, toxiques pour la reproduction ou l’ADN ou perturbateurs endocriniens. Sur la base de ce constat inquiétant, et alors que la FNSEA et le Ministre de l’agriculture, instrumentalisant les conséquences de la guerre en Ukraine, demandent de façon irresponsable un abandon des propositions européennes pour renforcer le cadre réglementaire sur les pesticides, l’Association saisit les autorités, dont l’ANSES, pour obtenir des procédures plus strictes d’autorisation des pesticides.
La majorité des produits issus de l’agriculture intensive contaminée et jusqu’à 92 % pour les cerises
L’UFC-Que Choisir a épluché les analyses officielles de 14 000 échantillons de produits bio et conventionnels (1) et a trouvé parmi les pesticides détectés pas moins de 150 substances suspectées d’être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens (2).
Le bilan est particulièrement inquiétant : pour les fruits et légumes de l’agriculture intensive, on révèle la présence d’un de ces pesticides à risque dans plus de la moitié (51 %) des contrôles et d’au moins deux pesticides à risques pour 30 % des contrôles. Loin de ne concerner que des traces infinitésimales non quantifiables, dans près d’un cas sur deux (43 %), les autorités ont été en capacité de mesurer les doses de ces substances.
On retrouve par exemple dans plus d’un quart des pomélos analysés (27,4 %), du pyriproxyfène, fortement suspecté d’être un perturbateur endocrinien et d’avoir contribué à des malformations de la tête et du cerveau observées au Brésil. Parmi les aliments les plus contaminés, on trouve les pommes (80 % des échantillons) où l’on détecte fréquemment du fludioxonil (48 % des échantillons), un fongicide suspecté d’être un perturbateur endocrinien, ou encore la quasi-totalité des cerises (92 % des échantillons) notamment contaminées en phosmet (47 % des échantillons), un insecticide suspecté par l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (Aesa) d’être toxique pour la fonction reproductrice.
Le bio, meilleur moyen d’éviter les pesticides pour les consommateurs les plus sensibles
À l’inverse, l’étude de l’UFC-Que Choisir montre que les aliments bio sont beaucoup moins contaminés notamment en raison de l’interdiction des pesticides de synthèse pour ce mode de production. Par rapport à leurs équivalents de l’agriculture intensive, on relève pratiquement six fois moins d’échantillons de tomates bio contaminées par des pesticides à risques (1 échantillon sur 10 en bio contre près de 6 sur 10 en conventionnel), sept fois moins pour les haricots verts bio et huit fois moins pour les pommes.
Dans les rares cas, où le bio est contaminé, les teneurs relevées en pesticides à risque sont également beaucoup plus faibles qu’en conventionnel. Elles ne sont quantifiables que pour 8 % des échantillons, dans tous les autres cas les substances étant généralement absentes ou présentes à l’état de traces non quantifiables. Conformément aux recommandations du Programme National Nutrition Santé (PNNS) du Ministère de la Santé, les produits de l’agriculture biologique constituent donc un recours pour les consommateurs, notamment les plus sensibles aux effets de ces molécules : femmes enceintes, enfants et adolescents. Mais il n’est pas admissible de devoir obliger les consommateurs à se reporter sur une offre plus chère, alors que ces constats globaux inquiétants sont le résultat d’un cadre réglementaire particulièrement laxiste.
Des procédures de contrôle biaisées et obsolètes
Alors que les bilans des contrôles sanitaires sur les produits alimentaires donnent régulièrement lieu à des satisfécits officiels, l’analyse critique de l’UFC-Que Choisir démontre que la réglementation actuelle en matière de pesticides ne permet pas de garantir l’absence de risque dans les aliments. En effet, ces contrôles tiennent essentiellement compte des limites maximales de résidus autorisées (LMR) par la réglementation. Mais les substances susceptibles d’être cancérogènes, toxiques pour les fonctions reproductrices ou les perturbateurs endocriniens, pourraient être nocives pour la santé même à très faibles doses. La conformité aux LMR est donc une notion obsolète qui n’offre pas de protection suffisante pour ces substances dont aucune trace ne devrait être tolérée, d’autant plus que leur action peut être accrue lorsqu’elles sont présentes en mélange (effet cocktail).
Les procédures d’autorisation des pesticides se révèlent également particulièrement biaisées. Bien que les études indépendantes s’accumulent pour alerter sur la dangerosité de certains pesticides, les agences sanitaires continuent de les autoriser sur la seule base des études transmises par les fabricants. Plus consternant encore, elles attendent généralement la fin des périodes d’autorisation pour procéder aux réévaluations. Ainsi le pyriproxyfène, évoqué plus haut, ne sera réexaminé qu’en 2035 !
Les divergences entre instances officielles constituent des failles supplémentaires de la réglementation. Malgré l’avis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui considère le glyphosate comme un cancérogène probable, la Commission Européenne a prolongé en 2017 son utilisation de 5 ans. Quant à la France, faisant fi de l’interdiction européenne des néonicotinoïdes, elle a également prolongé l’utilisation de certains d’entre eux (3) sur la betterave au moins jusqu’à la fin 2022. Rappelons que ces pesticides tueurs d’abeilles sont également soupçonnés d’agir sur le développement du système nerveux humain.
Comment, face à l’omniprésence des pesticides à risque dans l’alimentation, admettre un renoncement à l’ambition européenne salvatrice de réduire drastiquement leur utilisation en amont ? Cette posture de la FNSEA et dans sa suite, celle du Ministre de l’Agriculture, sont inadmissibles. Sur la base de son étude, l’UFC-Que Choisir exige un renforcement du cadre réglementaire national et européen, à travers :
- La remise à plat des procédures d’autorisation et notamment l’élaboration de méthodologies officielles pour mieux identifier les composés cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou les perturbateurs endocriniens, ainsi que les effets en mélange de substances (effet cocktail) ;
- Des contre-analyses indépendantes réalisées sous la responsabilité des agences sanitaires en cas de doute sur la nocivité de certains pesticides ;
- L’interdiction immédiate de commercialisation et d’utilisation des molécules les plus à risques, en application du principe de précaution.
À cet effet, l’Association saisit l’Anses pour que celle-ci formule des propositions concrètes d’amélioration de la réglementation.
L’UFC-Que Choisir met à la disposition de tous les résultats complets de son analyse en libre consultation.
(1) Données basées sur des contrôles effectués en 2019 par les services officiels en partie sur des échantillons prélevés au hasard et en partie sur des produits jugés à risque. Les résultats ont été publiés par le ministère de l’Agriculture.
(2) Sur la base de la liste des « Substances chimiques d’intérêt en raison de leur activité endocrine potentielle » publiée par l’Anses en avril 2021 et celle définie par le règlement européen n° 1272/2008 pour les substances considérées comme CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques) avérées, présumées ou suspectées.
(3) Pour l’imidaclopride fortement suspecté d’être perturbateur endocrinien et le thiamethoxam suspecté d’être reprotoxique et perturbateur endocrinien.