ACTION UFC-QUE CHOISIR

Marge minimale de 10 % garantie à la grande distributionMais où ont « ruisselé » les milliards d’euros ponctionnés aux consommateurs ?

L’effet inflationniste du relèvement du seuil de revente à perte sur les produits alimentaires est aujourd’hui largement documenté. Dans ce contexte, l’UFC-Que Choisir rend aujourd’hui publique une nouvelle étude montrant qu’en revanche cette mesure n’a eu aucun impact mesurable sur l’augmentation du revenu des agriculteurs. En réalité, les difficultés économiques de ces derniers résultent d’un défaut flagrant d’encadrement des négociations commerciales. Dès lors, l’UFC-Que Choisir exige l’abandon immédiat du SRP+10 qui ponctionne sans aucune logique économique le pouvoir d’achat des consommateurs, ainsi que la mise en œuvre urgente de sanctions dissuasives contre les industriels et les enseignes qui imposent aux agriculteurs des tarifs en dessous des prix de revient.

Six ans après la première loi Egalim et malgré deux lois supplémentaires, les pouvoirs publics n’ont toujours pas publié de données précises, filière par filière, sur la mise en œuvre de leurs dispositions (contractualisation, prix rémunérateur, prise en compte automatique de l’évolution des coûts de production…), ni sur leur efficacité à défendre le revenu agricole. Afin d’alimenter le débat en amont de la future loi Egalim 4, l’UFC-Que Choisir a étudié l’évolution du revenu agricole (1) sur le long terme et particulièrement depuis 2019 pour 4 grandes productions (céréales et oléagineux, porc, viande bovine et lait), ainsi que les données et analyses disponibles permettant d’identifier les véritables causes de l’échec d’Egalim.

SRP+10, un surplus d’inflation pour les consommateurs sans impact sur le revenu agricole

En l’absence de démonstration économique (2), l’argumentaire déployé pour justifier la marge minimale de 10 % garantie à la grande distribution, était que par effet de « ruissellement » les sommes supplémentaires prélevées sur les consommateurs allaient permettre une revalorisation des prix d’achat consentis par les enseignes aux industriels, ces derniers étant ensuite censés reverser ces sommes aux agriculteurs. L’étude réalisée par l’UFC-Que Choisir montre qu’en réalité le revenu agricole a baissé en 2019, année de la mise en œuvre du SRP+10, pour 3 filières étudiées (céréales, viande de porc et de bœuf) et stagné pour la filière laitière. Ce n’est donc absolument pas au bénéfice de nos agriculteurs que les consommateurs ont subi une inflation supplémentaire (3) – reconnue aussi bien par le monde agricole et industriel, que par les parlementaires (4) – représentant entre 470 millions d’euros et 1 milliard d’euros par an selon les estimations, soit au total plusieurs milliards d’euros depuis son entrée en vigueur il y a près de 6 ans.

Prix agricoles : des formules de prix opaques et peu rémunératrices

Alors que les prix agricoles stagnaient globalement depuis 2010, ils ont progressé de 45 % entre juillet 2020 et janvier 2023, entraînés par la hausse généralisée des cours internationaux. Pourtant, cette envolée spectaculaire n’a pas permis aux exploitations les plus fragiles de disposer de revenus rémunérateurs, notamment pour celles de la viande ou du lait, la hausse des prix agricoles étant insuffisante pour compenser le renchérissement des coûts de production. Pour les filières céréalières, on évoque entre 60 et 65 % d’exploitations ayant un revenu inférieur au SMIC sur cette période. Quant aux élevages porcins, beaucoup d’entre eux ne doivent leur survie qu’à l’aide d’urgence de 400 millions d’euros débloquée en 2022 par l’État (5).

Pourtant, Egalim prévoit une revalorisation automatique des prix tenant compte des coûts de production, mais la Cour des Comptes a constaté que les indices de prix utilisés dans les contrats sont souvent trop peu rémunérateurs, reflètent mal les évolutions réelles des coûts, voire sont inexistants (6). En outre, pour garantir aux éleveurs une stabilité des revenus et des volumes achetés, une contractualisation pluriannuelle avec les industriels est obligatoire par exemple pour la filière bovine. Pourtant, dans la pratique seulement un quart de la viande y était soumis en 2023 !

Des négociations commerciales toujours déséquilibrées

À l’origine de ces criants échecs, on trouve le rapport de force toujours déséquilibré entre les agriculteurs, les industriels et la grande distribution. Les quelques 90 000 exploitations bovines et laitières doivent négocier leurs productions avec un nombre d’acheteurs très réduit : pour le lait, 28 laiteries collectent 76 % des volumes et pour la viande 143 abattoirs assurent 92 % des tonnages. La concentration est encore plus marquée dans la filière porcine où par exemple en Bretagne 90 % des abattages sont réalisés par seulement 5 groupes. En position de force, les groupes industriels peuvent s’autoriser à revenir sur des accords signés. Ainsi, Lactalis, après une négociation difficile sur les prix, a annoncé unilatéralement en septembre l’arrêt de la collecte pour 300 exploitants d’ici 2023. De même le groupe Savencia (Caprice des Dieux, St Moret, Cœur de Lion…), est en désaccord depuis 3 ans avec les prix demandés par les producteurs.

Face un tel déséquilibre, seuls les pouvoirs publics ont la capacité de rétablir l’équité dans les négociations, en contrôlant la bonne application des lois et en sanctionnant les contrevenants. Cependant, les sanctions sont extrêmement faibles. Ainsi l’amende infligée récemment à Carrefour ne représente que 0,03 % de son chiffre d’affaires. Dans ces conditions, les industriels et la grande distribution ont en réalité les coudées franches pour imposer leurs conditions aux agriculteurs.

Au regard des défaillances criantes relevées dans la mise en œuvre des lois Egalim et alors que les prix agricoles français sont de plus en plus soumis aux variations du marché mondial, il importe de faire appliquer les mesures les plus efficaces pour défendre à la fois le revenu agriculteurs et le pouvoir d’achat des consommateurs. À cet effet, l’UFC-Que Choisir demande :

  • La mise en œuvre effective du rééquilibrage des négociations commerciales, par :​​​​​​

- L’établissement d’indices de prix interprofessionnels fiables ;

- Un renforcement de la contractualisation ;

- La publication des conditions des négociations commerciales ;

- L’application de sanctions dissuasives en cas de non-respect de la loi et de prix producteurs en dessous du prix de revient.

  • La transparence totale dans la construction des prix en publiant, sous la responsabilité de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, les niveaux de marges nettes réalisées pour chaque catégorie de produits, par les industriels et les enseignes de la grande distribution ;
  • Un abandon immédiat du relèvement du seuil de revente à perte.

250204_Etude_SRP10_Ruissellement.pdf Télécharger


(1) Les valeurs d’excédent brut d’exploitation (EBE) issues des statistiques agricoles officielles ont été choisies pour traduire l’évolution des revenus, l’EBE étant un indicateur couramment utilisé pour mesurer l’efficacité économique. Source principale des évolutions de revenu : ‘Résultats économique des exploitations en 2022’ – Primeur n°14 - Agreste – Décembre 2023.


(2) Dans le rapport du ministère des finances au Parlement, les économistes ont indiqué que ‘’l’idée d’un ‘ruissellement automatique’’ n’a pas de fondement économique’’, le prix agricole dépendant avant tout des conditions de négociations commerciales - Évaluation des mesures expérimentales de relèvement du seuil de revente à perte et d’encadrement des promotions pour les denrées et certains produits alimentaires – F. Gardes, C. Bonnet – 2021.


(3) En 2019, l’UFC-Que Choisir a relevé des hausses considérables dans les grandes marques d’aliments courants (par exemple + 5,5 % sur l’Emmental, + 5,5 % sur les raviolis en boîte, + 6,2 % sur les colas…), ainsi que de fortes hausses sur les aliments d’entrée de gamme.


(4) Rapport d’information n°5109 sur l’évaluation de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous – Assemblée Nationale – Février 2002.


(5) Afin de soutenir la filière porcine en difficulté, l’État a débloqué en 2022 un premier plan de sauvegarde doté de 270 millions € qui a bénéficié à 3 100 éleveurs, puis un second volet doté de 133 millions € versé à 3 700 éleveurs.


(6) Alors que la loi exige au minimum deux indicateurs des prix de production dans les contrats, sur les 9 contrats en viande bovine examinés par la Cour des comptes, 5 ne contenaient aucun indicateur de coûts.

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