Édouard Barreiro
Un coup de frein au très haut débit ?
L’ARCEP a confirmé aujourd’hui une baisse des prix de gros de l’ADSL pour janvier 2012. L’UFC-Que Choisir alerte l’autorité et le gouvernement sur le risque d’une telle démarche si elle n’est pas assortie de conditions spécifiques. En effet, une baisse de ce prix entraînerait une augmentation de la rentabilité de l’ADSL, et par conséquent réduirait l’incitation des opérateurs à développer la fibre.
Mercredi 30 novembre, l’ARCEP a officialisé ce qui, jusqu’à présent, n’était qu’une rumeur : une baisse des prix de gros de l’ADSL. Pour être plus précis, il s’agit de la baisse du prix d’un tarif de gros défini : le dégroupage, c’est-à-dire l’usage de la boucle cuivre de France Télécom (FT)/Orange, facturé aujourd’hui 9 euros à l’ensemble des opérateurs (FT/Orange se le facture à lui-même, séparation comptable oblige)
Si l’UFC-Que Choisir a toujours milité pour un ajustement tarifaire de cette prestation*(1), car conduisant à un enrichissement sans cause pour l’opérateur historique, payé par le consommateur, elle s’oppose en revanche à ce qu’il soit effectué sans tenir compte de son impact sur les incitations des différents acteurs et sur le marché de l’accès à internet fixe
En effet, le contexte actuel n’est pas favorable à l’investissement dans le très haut débit, ni à la baisse des prix de l’accès Internet :
Le manque de volonté des opérateurs à investir dans la fibre, certains témoignent même un intérêt réel pour le VDSL 2*(2), qui est en réalité une simple mise à jour de l’ADSL, plus rentable, car nécessitant relativement peu d’investissements, mais bien moins efficace que la fibre. Le VDSL 2 est une technologie si fragile qu’elle serait même inutile pour beaucoup de consommateurs*(3). Par conséquent, il est absolument nécessaire de développer la fibre, notamment dans certains territoires où l’accès ADSL correct reste une chimère.
L’ADSL, un levier pour récupérer les marges perdues dans le mobile. Avec une concurrence réactivée dans le mobile, les opérateurs misent de plus en plus sur l’ADSL, pour compenser (sur) les marges perdues. D’ailleurs, les prix observent sur ce marché une tendance à la hausse, notamment avec la multiplication des « box premiums ». Dans ce contexte, il est évident que la baisse du prix du cuivre ne sera ni affectée aux investissements, dans le très haut débit, ni restituée au consommateur, mais transformée en marge.
L’UFC-Que Choisir propose depuis longtemps une solution pour concilier la nécessité d’un traitement équitable de FT/Orange et des opérateurs alternatifs avec le maintien d’une incitation au développement de la fibre. Notre proposition consiste à récupérer le différentiel existant entre le coût réel du cuivre et le prix facturé aux opérateurs et de l’affecter au financement de la fibre. Plus concrètement, les opérateurs continueraient à payer 9 euros le dégroupage, mais FT/Orange n’encaisserait que le prix réel (selon nous, pas plus de 7 euros). Le différentiel pourrait alors être versé au fonds d’aménagement numérique des territoires, créé par la loi relative à la lutte contre la fracture numérique de 2009*(4), pour financer le réseau fibre dans les zones où l’initiative privée fait défaut.
Ce mécanisme a le mérite de maintenir une forte incitation à investir dans la fibre pour tous les acteurs. FT/Orange, renoncerait au cuivre moins rentable (moins de revenu généré par le dégroupage) et les alternatifs continueraient d’envisager la fibre car le cuivre reste relativement coûteux.
Par conséquent, l’UFC-Que choisir alerte l’ARCEP sur les possibles impacts d’une baisse du prix du cuivre sans contrepartie et demande au gouvernement de prévoir la création d’un mécanisme permettant ce transfert financier.
*(1) La boucle cuivre est une infrastructure essentielle, elle doit donc être tarifée à son coût, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
*(2)Voir par exemple : http://www.lesechos.fr/entreprises-secteurs/tech-medias/actu/0201675830847-free-revoit-sa-tactique-dans-le-tres-haut-debit-229354.php
*(3)En effet, si la VDSL 2 permet théoriquement d’augmenter les débits, comparativement à l’ADSL classique, de manière conséquente, son effet faiblit rapidement à mesure que le consommateur s’éloigne du répartiteur téléphonique (NRA). De plus, la VDSL 2 implique une ligne (cuivre) de bonne qualité. Ce qui disqualifie un grand nombre de consommateurs, notamment dans les zones moins denses où l’ADSL est inefficace.
*(4)Loi n° 2009-1572 du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique, http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000021490974&dateTexte=