Jeux vidéoPlainte européenne contre 7 éditeurs et leurs monnaies virtuelles
Alors que les jeux vidéo sont devenus l’un des loisirs préférés des Français, l’UFC-Que Choisir et la CLCV tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme sur la présence et l’usage de monnaies virtuelles incorporées dans ces jeux. Il s’agit d’un mode de paiement intermédiaire créé spécialement pour certains jeux et qui n’est utilisable qu’à l’intérieur et pour les besoins de ceux-ci afin d’accéder à plus de fonctionnalités et/ou prolonger l’expérience de jeu. Ces monnaies spécifiques conduisent les consommateurs à faire des achats de contenus virtuels pour améliorer le jeu mais sans connaître leur réelle valeur. Aux côtés de 20 autres associations de consommateurs européennes (1), l’UFC-Que Choisir et la CLCV déposent plainte contre sept éditeurs de jeux (2) pour pratiques commerciales trompeuses et exigent des autorités européennes et nationales qu’elles imposent une meilleure information des consommateurs dans le cadre d’achat de jeux vidéo.
Les monnaies virtuelles sont omniprésentes dans les jeux vidéo
Aujourd’hui, 7 Français sur 10, des plus jeunes aux seniors, jouent régulièrement aux jeux vidéo (3). De plus en plus de jeux proposent l’achat d’objets virtuels – tels que des armes, des costumes ou des outils – ou de fonctionnalités supplémentaires qui peuvent être utilisés dans le jeu pour améliorer l’expérience ou progresser plus rapidement. Cependant, dans de nombreux jeux, il est impossible d’acheter ces objets virtuels ou fonctionnalités directement avec des euros. Il faut utiliser des monnaies virtuelles qui prennent la forme de points, de pièces ou de diamants. Ainsi, avant tout achat, le consommateur est contraint de convertir ses euros en monnaie spécifique du jeu. Ces monnaies virtuelles sont de plus en plus répandues. Alors que 42 % des jeux les plus joués sur PC en utilisent (4), ce taux atteint 81 % dans les jeux les plus populaires sur smartphone (5). En France, 3,6 millions de joueurs ont déjà converti de l’argent dans les jeux pour acheter ces monnaies virtuelles (6).
Les monnaies virtuelles masquent le vrai prix des achats dans les jeux
Par l’emploi de telles monnaies virtuelles et en l’absence de tout affichage du prix en euros des objets virtuels proposés, les éditeurs de jeux vidéo dissimulent leur véritable coût et trompent ainsi les consommateurs dans un but bien précis : leur faire oublier que l’argent qu’ils dépensent est bien réel. Fait d’autant plus accablant qu’il est même souvent impossible, pour les consommateurs encore « conscients » de l’acte d’achat et désireux de faire la conversion inverse, de calculer précisément combien leur dépense en monnaie virtuelle leur a véritablement coûté in fine, car ces monnaies ne sont proposées qu’en pack et le taux de change varie généralement selon la formule choisie. Pourtant, rappelons qu’il est de droit que les consommateurs connaissent, et ce de façon intelligible et non-équivoque, le prix et le mode de calcul de celui-ci. À titre d’exemple, le jeu pour smartphone « Clash of Clans » propose 6 packs de « gemmes », la monnaie virtuelle spécifiquement intégrée au jeu, allant de 80 gemmes pour 1,19 € jusqu’à 14 000 gemmes pour 119,99 €. Le prix pour 10 gemmes varie donc entre 9 et 15 centimes. Le taux de change ne peut être calculé précisément que si le consommateur achète toujours exactement le même pack.
Les monnaies virtuelles incitent les consommateurs à dépenser toujours plus
Par ailleurs, les packs de monnaies virtuelles proposés ne correspondent souvent pas exactement aux « prix » affichés des objets virtuels. Les consommateurs sont donc obligés d’acheter et de convertir plus de monnaie que nécessaire pour obtenir l’objet souhaité. De telles pratiques altèrent de manière significative la liberté de choix des consommateurs. Dans les exemples que nous avons relevés, la dépense réelle nécessaire pour l’achat des objets virtuels peut alors être plus de deux fois supérieure à la valeur affichée !
Les surcoûts cachés dans les jeux vidéo
Nom du jeu | Monnaie virtuelle | Nom de l’objet virtuel | « Prix » affiché pour l’objet (en monnaie virtuelle) | Pack de monnaie virtuelle le plus adapté* | Surcoût réel |
Pièces de platine | « Avènement satanique » | 700 | 1 000 | 43 % | |
Points FC | « Petit Pack Éléments J. 80 + » | 50 | 100 | 100 % | |
V-bucks | « Carapace de héros » | 400 | 1 000 | 150 % | |
Minecoins | « Chatons mignons » | 160 | 320 | 100 % | |
Robux | « Pack d’animations mage » | 250 | 400 | 60 % | |
Gemmes | « Bouclier de protection 1 semaine » | 250 | 320 | 28 % | |
Crédits R6 | « Pack Containment » | 300 | 600 | 100 % | |
* Cela peut impliquer de combiner plusieurs packs, afin d’approcher le prix de l’objet virtuel. |
Bien sûr, la somme restante de monnaie virtuelle ne sera pas perdue, mais elle sera souvent insuffisante pour acheter tout nouvel objet. Il faudra donc recharger le portefeuille de monnaie virtuelle, pouvant ainsi créer un véritable cercle vicieux.
Marie-Amandine Stévenin, Présidente de l’UFC-Que Choisir, rappelle que « les consommateurs ne devraient pas avoir à jouer aux devinettes pour savoir combien ils dépensent dans un jeu vidéo. Les monnaies virtuelles, en dissimulant le coût réel des achats, piègent les consommateurs dans un système opaque qui les pousse à dépenser toujours plus. Il est temps que les autorités protègent les droits des joueurs en obligeant les éditeurs de jeux à respecter les règles sur la transparence des prix ».
Selon Jean-Yves Mano, Président de la CLCV, « les autorités doivent enfin prendre conscience que des règles de protection des consommateurs sont nécessaires face aux éditeurs de jeux vidéo. Il n’est pas tolérable que le coût réel de certaines transactions ne soit pas clairement affiché, obligeant le joueur à procéder à des conversions entre monnaies virtuelles et réelles. La situation est urgente, d’autant que les plus jeunes joueurs, qui n’ont pas de conscience financière suffisamment développée, constituent une cible de choix pour ces éditeurs ».
Face à ces constats, l’UFC-Que Choisir, la CLVC et leurs homologues européens du BEUC saisissent la Commission européenne et le réseau des autorités de protection des consommateurs (la DGCCRF en France) pour qu’ils fassent cesser au plus vite, et le cas échéant sanctionnent, les pratiques commerciales de 7 éditeurs de jeux vidéo (Activision Blizzard, Electronic Arts, Epic Games, Mojang Studios, Roblox Corporation, Supercell et Ubisoft) qui se refusent à afficher le prix en euros des objets ou contenus proposés en monnaies virtuelles dans leurs jeux vidéo.
Plus largement, nos associations demandent au Législateur l’interdiction de toutes formes de monnaies virtuelles payantes qui dévoient, à dessein, le caractère ludique des jeux vidéo.
(1) Vzbv (Allemagne) ; Testachats (Belgique) ; BNAAC (Bulgarie) ; Kypriakos Syndesmos Katanaloton (Chypre) ; Forbrugerrådet Tænk (Danemark) ; ASUFIN, CECU et OCU (Espagne) ; Kuluttajaliitto Konsumentförbundet (Finlande) ; EKPIZO et KEPKA (Grèce) ; Adiconsum et Altroconsumo (Italie) ; Forbrukerrådet (Norvège) ; Consumentenbond (Pays-Bas) ; Federacja Konsumentów (Pologne) ; DECO (Portugal) ; S.O.S. Poprad (Slovaquie) ; Sveriges Konsumenter (Suède) ; Fédération romande des consommateurs (Suisse).
(2) Activision Blizzard (Jeu concerné : Diablo IV) ; Electronic Arts (EA Sports FC 24) ; Epic Games (Fortnite) ; Mojang Studios (Minecraft) ; Roblox Corporation (Roblox) ; Supercell (Clash of Clans) ; Ubisoft (Tom Clancy’s Rainbow Six Siege).
(3) SELL, 2023, Les Français et le jeu vidéo.
(4) Les 48 jeux les plus joués sur Steam en 2023 (catégorie platine, or et argent), ainsi que Fortnite et Minecraft qui ne sont pas disponibles sur Steam.
(5) Les 31 jeux les plus téléchargés sur Google Play (Android), avec plus de 500 millions de téléchargements au niveau mondial.
(6) SELL, 2023, Les Français et le jeu vidéo ; Ipsos, 2023, In-game spending : A report by Ipsos for Video Games Europe (formerly ISFE) on parents' supervision of in-game spending.