AppelAccords de libre-échange transatlantiques : la France doit dire NON à ce mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats
Alors que l’Union européenne est engagée dans la négociation de deux accords de libre-échange transatlantiques, avec le Canada et les États-Unis, le débat public est devenu extrêmement vif autour du dispositif envisagé pour protéger les investisseurs : le règlement des différends investisseurs-États (RDIE en français ou ISDS en anglais).
Le RDIE permet à un investisseur étranger d'attaquer un État devant un tribunal arbitral international, plutôt que devant une juridiction nationale, s’il considère que ce dernier a pris une décision qui affecte négativement ses activités. Il peut demander des compensations financières, y compris pour « atteinte » aux profits non réalisés, présents et futurs. Au départ prévus pour protéger les investissements dans des pays où l’État de droit ou les systèmes juridiques étaient défaillants, le RDIE est devenu un outil puissant pour attaquer des législations sur l'environnement, la santé publique, les droits des consommateurs ou des travailleurs, et empêcher l’adoption de nouvelles législations.
Le cas le plus emblématique de cette dérive est l’attaque par le groupe Philip Morris de l’Australie après l'adoption d'une loi de santé publique instaurant le paquet neutre pour les cigarettes. Plusieurs pays attendent pour adopter des lois similaires de voir si le cigarettier obtiendra les milliards de dollars de compensation qu’il exige et que pourraient être appelés à payer les contribuables australiens. Car l’objectif des firmes est d’exercer une menace permanente de recours et de compensations financières pour éviter que des législations contraires à leurs intérêts voient le jour.
Le RDIE est un mécanisme opaque et biaisé qui affaiblit nos systèmes juridiques
Le RDIE instaure de fait un système juridique privé, parallèle et supranational, uniquement accessible aux investisseurs étrangers. Ainsi ses décisions pourraient-elles s’imposer aux juridictions nationales et européennes, y compris la Cour de justice de l’Union européenne ! En outre, le RDIE est marqué par l’opacité des procédures et des décisions, un coût élevé (de 5 à 10 millions de dollars en moyenne), l’absence de recours possible et les conflits d’intérêt : une quinzaine de juristes dans le monde jouent alternativement les « arbitres » et les avocats des firmes et ont déjà participé à plus de la moitié des litiges.
Le RDIE n’est pas justifié
Il est normal que des investisseurs puissent contester devant des tribunaux des décisions publiques dont ils se sentiraient victimes. Mais il existe de part et d’autre de l’Atlantique des systèmes juridiques très solides qui permettent ces recours et protègent de manière adéquate les investissements. Plusieurs études, y compris de la Banque mondiale et de l’OCDE, concluent par ailleurs que le RDIE n’est pas un facteur d’accroissement des investissements.
Le RDIE menace la démocratie
Nous considérons que le RDIE constitue un transfert inacceptable de souveraineté démocratique au profit d’intérêts privés. Le RDIE est une menace directe contre la capacité des collectivités, des Etats ou des institutions fédérales à légiférer. Ainsi, le groupe Vattenfall a-t-il attaqué l’Allemagne et lui demande 4,7 milliards d’euros de compensations pour avoir décidé de sortir du nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Dans le secteur du numérique, presque toutes les législations sont à construire et sont amenées à évoluer. Un RDIE renforcerait la position ultra-dominante des acteurs américains et de leurs règles (protection des données ou fiscalité notamment) sur un marché européen en rapide expansion.
Il en est de même en matière fiscale. Si, au terme de son enquête, la Commission européenne jugeait illégal le dispositif fiscal préférentiel dont bénéficient notamment Starbucks aux Pays-Bas ou Apple en Irlande, elle pourrait, en vertu du droit européen, exiger que ces entreprises remboursent les pays « lésés » par la perte de recettes fiscales. Grace à un RDIE, ces entreprises pourraient se voir restituer les mêmes sommes pour atteinte à leurs intérêts et « attentes légitimes ». En d’autres termes, ce type de juridiction rendrait ici le droit européen ineffectif.
Une contestation croissante
Des deux côtés de l’Atlantique, de très nombreux juristes, économistes, think tanks et centres de recherche (Institut Notre Europe-Jacques Delors, Institut Cato, Conseil européen pour les relations internationales…), syndicats (dont la Confédération européenne des syndicats) et organisations de la société civile, entreprises et organisations de PME, collectivités locales et parlements, ont émis les plus grandes réserves vis-à-vis du RDIE. 97% des 150 000 citoyens qui ont participé à la consultation publique organisée par la Commission européenne sur ce mécanisme l’ont rejeté. A l’évidence un RDIE transatlantique donnerait à ce dispositif une assise sans commune mesure avec les accords antérieurs puisqu’il concernerait plus des trois-quarts des firmes multinationales mondiales.
Des pistes de réformes sont évoquées. Elles ne changent pas la nature profonde d’un tribunal arbitral privé, parallèle, primant sur des juridictions nationales définies par la Constitution. Nous refusons qu’une telle menace prive nos institutions démocratiques de la capacité à définir et à protéger l’intérêt général. Des alternatives sont à l’étude qui portent notamment sur la construction d’une juridiction « publique » internationale. Ces propositions doivent nourrir les négociations en cours afin d’impulser des règles
multilatérales équilibrées et démocratiques en matière d’investissement. L’Union européenne se doit de promouvoir son institution.
C’est pourquoi, dans la droite ligne des résolutions votées à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous demandons au gouvernement français d’afficher vis-à-vis de l’opinion publique, et de défendre avec force au sein du Conseil européen, une position claire et ferme de refus de tout RDIE dans les accords commerciaux négociés avec le Canada et les Etats-Unis.
Signataires : Jean Arthuis (eurodéputé ADLE, Président de la Commission du budget), Alain Bazot (Président de l'UFC-Que Choisir), Pervenche Berès (eurodéputée S&D, Présidente de la délégation socialiste française), Laurent Berger (secrétaire général de la CFDT), José Bové (eurodéputé Verts/ALE, membre de la commission du commerce international), Jean-Pierre Gastaud (avocat, professeur émérite à l’Université Paris-Dauphine), Yannick Jadot (eurodéputé Verts/ALE, vice-président de la Commission du commerce international), Denez L'Hostis (Président de France Nature Environnement), Robert Rochefort (eurodéputé ADLE, Vice-Président de la commission du Marché intérieur et de la protection des consommateurs), Emmanuel Maurel (eurodéputé S&D, membre de la commission du commerce international), Bernadette Ségol (Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats), Benoît Thieulin (chef d’entreprise dans le numérique), Marie-Christine Vergiat (eurodéputée GUE, membre de la commission des affaires étrangères)