Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
Face à l’ampleur des plaintes qu’elle reçoit de consommateurs légitimement inquiets de l’immobilisation forcée de leurs véhicules, et l’absence de solutions concrètes de substitution proposées par le groupe Stellantis, l’UFC-Que Choisir met en demeure le groupe automobile dont l’incurie dans cette procédure de rappel est patente. L’association l’enjoint d’avoir à mettre en place des solutions concrètes permettant de pallier l’immobilisation imposée (par exemple : la prise en charge et la mise à disposition d’un véhicule de courtoisie / location) et à garantir une réparation rapide des véhicules affectés afin d’assurer la sécurité des consommateurs. À défaut de réponse et d’engagements satisfaisants dans le délai d’un mois, l’UFC-Que Choisir engagera toutes actions judiciaires utiles afin de préserver les droits des consommateurs et de défendre l’intérêt collectif de ces derniers.
Lettre ouverte adressée à Monsieur Thierry Koskas (copie à Monsieur Carlos Tavares) à titre de mise en demeure s’agissant des défaillances constatées dans la mise en œuvre de la campagne de rappel « Stop Drive » des C3 et DS3 équipées d’airbags Takata.
Monsieur le Directeur Général,
En ma qualité de Présidente de l’UFC-Que Choisir, première association de consommateurs de France, je me vois contrainte d’avoir à vous interpeller publiquement face à l’ampleur des plaintes que nous recevons de consommateurs inquiets du fait de votre incurie dans la gestion de la campagne de rappel liée à l’affaire des airbags Takata.
Face aux défaillances, aussi historiques que multiples, de votre groupe dans l’exécution de l’obligation générale de sécurité et de conformité lui incombant en l’espèce, et compte tenu de l’urgence évidente à mettre en place des solutions concrètes permettant de garantir la sécurité des consommateurs et la cessation des troubles provoqués, j’entends vous faire injonction, pour les motifs exposés ci-après dans cette lettre ouverte :
Depuis le début du mois de mai 2024, l’ensemble de notre réseau associatif est en effet assailli par les appels de milliers de consommateurs, légitimement inquiets et exaspérés par votre gestion pour le moins calamiteuse de cette procédure de rappel et d’immobilisation sans précédent. La situation infligée aux consommateurs, qu’ils résident en outre-mer ou en métropole, ne saurait perdurer plus longtemps.
Force est de constater que l’injonction qui a été faite aux consommateurs, en dernier lieu, de « cesser immédiatement de conduire » leurs véhicules, pour prévenir un « risque avéré de blessures graves voire mortelles », est, outre son caractère terriblement tardif, très insuffisante.
Il ressort ainsi de l’analyse des principaux signalements qui nous ont été adressés que les propriétaires des véhicules visés rencontrent les plus grandes difficultés, voire sont confrontés à une impossibilité :
Votre incurie dure maintenant depuis plusieurs mois, malgré votre campagne « Stop Drive », alors que le danger mortel persiste pour beaucoup de consommateurs qui, faute de solution de substitution immédiate et effective, et face à des contraintes de déplacement impératives, n’ont d’autre alternative que celle de poursuivre, dans la peur permanente, l’utilisation de leur véhicule défectueux pour leurs trajets (pour se rendre au travail, déposer/récupérer les enfants à l’école ou chez la nourrice, assurer un accès aux soins, assurer un déplacement impératif, visiter des parents isolés, etc.).
Ce danger persistant vient d’ailleurs aggraver le trouble de jouissance et le préjudice d’anxiété déjà subis par ces près de 200 000 consommateurs qui, selon nos décomptes, et au regard de vos dernières déclarations dans la presse, n’ont à ce jour bénéficié d’aucun véhicule de substitution alors que le leur demeure en attente de réparation pour une période parfois indéterminée…
Au surplus, je ne peux que déplorer le défaut manifeste d’anticipation du groupe Stellantis dans la mise en place et la gestion de cette procédure de rappel au regard du nombre de véhicules impactés, défaillance se traduisant tant dans l’évaluation du risque pourtant déjà connu de longue date, que dans l’appréciation du temps nécessaire pour le rappel et la réparation de tous les véhicules concernés, ainsi que dans la quantification et l’échelonnement des commandes de pièces de rechange qui font aujourd’hui cruellement défaut.
Il en résulte donc que votre procédure de rappel est en l’état ineffective puisqu’elle se limite à prescrire un « arrêt immédiat de conduite » des véhicules visés, dans l’attente d’une réparation, seule mesure à même de faire cesser définitivement le trouble, mais que votre groupe semble incapable d’organiser dans un délai et dans des conditions acceptables pour les consommateurs.
Vous comprendrez en conséquence que je puisse considérer qu’il y a une URGENCE IMPÉRIEUSE À FOURNIR AUX CONSOMMATEURS LÉSÉS DES SOLUTIONS DE SUBSTITUTION RÉELLES, RAPIDES ET EFFICACES.
À la lumière des informations disponibles à ce jour, il me semble utile de vous rappeler, brièvement, l’historique de ce qui a mené à un tel fiasco industriel.
Comme tous les autres constructeurs automobiles, vous connaissiez le risque évoqué de ces airbags Takata depuis de nombreuses années, et a minima, selon nous, depuis juillet 2015, date à laquelle l’agence fédérale américaine de sécurité routière (NHTSA) a révélé publiquement le scandale ayant conduit, outre atlantique, à la plus grande campagne de rappel de véhicules de tous les temps (près de 50 millions de véhicules rappelés en 10 ans, une trentaine de morts et 400 blessés…).
Vous n’ignoriez pas non plus que votre équipementier, la société Takata, avait publiquement reconnu sa culpabilité dans la dissimulation de la défectuosité de ses produits, ayant conduit, après des rappels massifs et son incapacité à faire face à l’ampleur des conséquences financières de ceux-ci, à sa faillite dès 2017.
Vous avez pourtant poursuivi la commercialisation des véhicules C3 et DS3 équipés de ces dispositifs potentiellement dangereux jusqu’en 2019, sans en informer les consommateurs.
Pis, malgré les premiers décès survenus en outre-mer, dès 2019, consécutivement à l’explosion dysfonctionnelle d’airbags Takata équipant leurs véhicules, aucune injonction de cesser la conduite, ni aucune campagne générale d’information n’a alors été organisée par votre entreprise. Pendant ce temps, de nouveaux décès et des consommateurs mutilés venaient s’ajouter en Outre-Mer…
Il vous faudra attendre encore 3 ans et la survenue d’un énième accident mortel, cette fois dans les Pyrénées, pour assortir, en mai 2024, votre nouvel avertissement d’une mesure restrictive et totalement précipitée de « Stop Drive ».
Résultat : des véhicules mettant potentiellement en danger des centaines de milliers de consommateurs sont encore susceptibles de circuler en France et la seule réponse réellement apportée par votre entreprise à ces derniers est de leur notifier un « arrêt de conduite ».
Une telle posture est inadmissible.
Je rappellerais que la nature du défaut affectant les airbags Takata est parfaitement identifiée et ce depuis près de 10 ans à savoir : une dégradation lente et progressive du gaz propulseur (à base de nitrate d’ammonium) contenu dans le système explosif du coussin suite à un contact prolongé à de fortes chaleurs et à l’humidité.
Les conséquences de ce défaut sur la sécurité et la santé des passagers étaient également parfaitement connues : une explosion incontrôlée du dispositif et avec elle la projection de fragments et particules métalliques causant des blessures, mutilations ou même le décès des passagers victimes.
Or, vous n’ignorez pas qu’en application, notamment, des dispositions des articles L 421-1 et suivants et L 423-1 et suivants du Code de la Consommation, votre entreprise est tenue à l’exécution d’une obligation générale de sécurité ainsi qu’a plusieurs obligations subséquentes, tenant notamment à l’information du consommateur sur les risques évalués, au suivi mais aussi à la vigilance quant aux risques pouvant affecter des produits.
Au regard des déclarations publiées dans la presse, votre entreprise semble relativement satisfaite des mesures de rappel mises en place en Outre-Mer puis, plus récemment, en Métropole.
Permettez-moi néanmoins de contester votre lecture des faits.
En effet, votre appréciation du niveau de risques, voire de danger mortel, de ses airbags Takata, compte tenu à la fois de l’état des connaissances scientifiques, du nombre de cas recensés dans le monde, mais aussi en France, aurait dû conduire dès 2018, a minima, à prendre les décisions et mesures qui s’imposaient à savoir :
Je considère donc que vous avez failli dans le respect de ces obligations, en privilégiant sans doute le serrage des coûts et la préservation de votre image de marque au détriment de la sécurité des consommateurs (ce qui est d’autant plus cynique lorsqu’on sait que le dysfonctionnement mortel concerné affecte précisément un équipement censé protéger le passager…).
En imposant en outre, de fait pour seule solution, l’immobilisation totale des véhicules concernés, je considère que vous portez une atteinte manifestement illicite au droit de propriété des consommateurs sur ces biens, ces derniers étant enjoints, par votre initiative, et à raison de votre manque d’anticipation dans les opérations de rappel, à ne plus faire usage de leur C3 ou DS3.
Pour l’ensemble de ces raisons, eu égard à l’urgence exposée par les consommateurs, et sans préjudice de toutes demandes d’indemnisations qui pourraient être formulées ultérieurement par notre association et/ou les consommateurs victimes, je vous mets en demeure publiquement, par la présente lettre, et sous un mois maximum, de :
Je ne doute pas que de telles mesures devraient pouvoir être mises en place facilement et rapidement par votre groupe, eu égard au montant que vous avez déjà provisionné, à hauteur de près d’un milliard d’euros, ce depuis maintenant près de 2 ans.
Quoi qu’il en soit, et à défaut de réponse et d’engagement satisfaisant de la part de votre entreprise dans le délai d’un mois précité, l’UFC-Que Choisir engagera toutes actions judiciaires utiles afin de préserver les droits des consommateurs et défendre l’intérêt collectif de ces derniers.
Dans l’attente de votre retour, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes salutations distinguées.
Marie-Amandine Stévenin
Présidente de l'UFC-Que Choisir
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