Stop aux intolérables disparités géographiques et économiques !
Alors que les récentes informations sur les pratiques d’EHPAD privés ont logiquement scandalisé l’opinion, l’UFC-Que Choisir rend aujourd’hui publique une étude dévoilant un autre scandale lié au secteur des EHPAD : la fracture territoriale qui frappe les séniors devant entrer dans ce type d’établissements spécialisés. En effet, notre étude montre que l’offre de places en EHPAD en France et son prix moyen (2 214 €) masquent des disparités départementales considérables. Constatant que les grands écarts tarifaires résultent en grande partie de tarifs prohibitifs pratiqués par les EHPAD privés peinant à se justifier par une meilleure qualité de service, l’UFC-Que Choisir formule plusieurs demandes visant à permettre une prise en charge humaine à des tarifs abordables sur l’ensemble du territoire.
Une répartition très hétérogène des places d’EHPAD en France
Il existe en France une offre de 102 places en EHPAD pour 1 000 personnes âgées de plus 75 ans, moyenne nationale qui cache de fortes disparités. L’étude de l’UFC-Que Choisir montre que le nombre de places peut varier du simple au quadruple selon les départements : alors qu’en Lozère il existe 169 places pour 1 000 habitants de plus de 75 ans, à Paris ce nombre tombe à 41. Au global, les places en EHPAD ne sont pas en mesure de répondre à une demande potentielle de l’ensemble des personnes dépendantes, puisque moins de la moitié (47 %) de celles-ci sont en mesure d’intégrer un EHPAD.
Si les EHPAD n’ont bien entendu pas vocation à accueillir toutes les personnes dépendantes, celles souffrant des pathologies les plus lourdes n’ont pourtant pas d’autre choix que de se tourner vers ces établissements médicalisés spécialisés. Or, l’offre inégale de places en EHPAD en France peut avoir des effets considérables sur leur capacité à entrer en établissements en fonction de leur lieu de vie. Ainsi, les personnes très dépendantes (1) en Mayenne bénéficient dans 90 % des cas d’une place en EHPAD, quand ce taux chute drastiquement à 42 % dans le Gard, et même à seulement 38 % en Corse !
Des restes à charge insupportables
L’analyse des tarifs pratiqués par l’ensemble des EHPAD implantés en France révèle que le coût moyen d’une place en EHPAD est de 2 214 € par mois, avec là aussi de fortes inégalités entre départements. Alors qu’en Meuse un résident paye en moyenne sa chambre en EHPAD 1 749 € par mois, les prix sont bien plus importants dans le Rhône (2 521 €), les Bouches-du-Rhône (2 525 €), la Corse-du-Sud (2 623 €), les Alpes-Maritimes (2 679 €), et à Paris (3 698 €).
En confrontant les prix départementaux des EHPAD aux niveaux de revenus des habitants, on constate non seulement que la fracture territoriale se confirme, mais qu’en plus les prix élevés des EHPAD excèdent partout (2) le niveau de vie médian des habitants. Alors qu’en moyenne nationale les résidents doivent piocher 416 € (3) par mois dans leur épargne pour payer leur place, ce chiffre s’envole dans de nombreux départements, particulièrement en région parisienne (par exemple 1 118 € en Seine-Saint-Denis) et sur la côte méditerranéenne (par exemple 836 € dans les Alpes-Maritimes).
Les EHPAD privés font exploser les prix
Les pratiques tarifaires disparates des différents types d’EHPAD expliquent en grande partie les différences de prix entre départements. En effet, les EHPAD privés sont, et de très loin, les structures les plus chères, puisqu’en moyenne une place y coûte 2 898 € par mois, contre 2 147 € pour les EHPAD associatifs et 1 936 € pour les EHPAD publics. Le surcoût du recours à un EHPAD privé par rapport à celui à un EHPAD public se manifeste dans l’intégralité des départements (4), et atteint des sommets en Loire-Atlantique (+ 1 225 €) ou encore en Ille-et-Vilaine (+ 1 733 €). Dès lors, plus la part des EHPAD privés est importante dans un département, plus le prix moyen d’une place en EHPAD est tiré vers le haut.
Or, là également, il existe une forte discrimination territoriale, puisque les EHPAD privés sont parfois surreprésentés dans certains départements. Ainsi, et alors qu’en moyenne nationale les EHPAD privés possèdent 23 % des places, leur « part de marché » excède 50 % dans 8 départements avec un impressionnant record dans les Bouches-du-Rhône (63,6 %).
Un développement délétère de l’offre privée favorisé par les pouvoirs publics
Cette cherté des EHPAD privés pourrait trouver à s’expliquer par une meilleure qualité des prestations proposées à leurs résidents par rapport à celles dont bénéficieraient les résidents d’EHPAD publics. Cela est loin d’être le cas si on se fie aux taux d’encadrement des résidents de 55,6 % dans les structures privées, contre 68,1 % dans les structures publiques (5), ou à la qualité de la restauration ou encore des animations, essentielles pour le moral des résidents. Dans la foulée du livre choc Les Fossoyeurs, le récent rapport de l’Inspection générale des Finances et de l’Inspection générale des affaires sociales ne manque pas d’ailleurs pas de le souligner.
La stratégie de maximisation du profit des établissements privés qui s’effectue sans toujours prendre en compte l’impératif de bien-être des résidents se réalise avec l’implicite et déplorable blanc-seing des autorités publiques, qui outre des manquements dans les contrôles des établissements, favorisent le développement des EHPAD privés. En effet, les Conseils départementaux – qui avec les Autorités régionales de santé (ARS) ont la main sur le développement des EHPAD – trouvent un intérêt budgétaire à favoriser la création d’établissements privés plutôt que de créer des établissements publics, puisque les résidents des EHPAD publics sont davantage en mesure que ceux des EHPAD privés de bénéficier des aides sociales départementales, notamment en ce qui concerne l’Aide sociale à l’hébergement (ASH).
Au vu des constats dressés, et dans un contexte où le vieillissement de la population va mécaniquement s’accompagner d’une hausse des situations de dépendance, l’UFC-Que Choisir, attachée à la liberté de choix du type d’EHPAD et soucieuse d’assurer aux séniors n’ayant d’autres choix que d’en intégrer un de pouvoir trouver un établissement permettant une prise en charge humaine à un tarif raisonnable demande :
- Que la création de nouvelles places en EHPAD se fasse essentiellement dans les structures publiques ;
- Que les EHPAD privés aient tous l’obligation de proposer un nombre suffisant de places éligibles à l’Aide sociale à l’hébergement ;
- Un plafonnement des évolutions tarifaires des EHPAD privés ;
- La mise en place d’un taux d’encadrement minimal obligatoire pour tous les établissements et de porter ces taux à la connaissance des consommateurs ;
- Que les associations agréées en santé soient représentées au sein des Conseils de vie sociale des EHPAD, pour veiller au bien-être des résidents.
Afin de limiter les restes à charge parfois prohibitifs et durables frappant les résidents, l’UFC-Que Choisir rappelle également la demande qu’elle porte depuis plus de 10 ans sur la mise en place d’un « bouclier dépendance » (6) , financé par la solidarité nationale.
Enfin, l’UFC-Que Choisir met librement à la disposition des consommateurs sur son site internet https://www.quechoisir.org/carte-interactive-maisons-retraite-n21239/ une carte interactive des EHPAD en France, indiquant les prix pratiqués par l’ensemble des établissements, tout en rappelant que le prix ne peut pas constituer le seul critère de choix.
Télécharger l'étude complète et les slides
(1) Que nous caractérisons comme étant des personnes ayant un GIR 1 ou 2. Cf. dossier joint pour les précisions.
(2) À l’exception notable du Finistère.
(3) Ce montant ne tient pas compte des éventuelles aides dont peuvent bénéficier les résidents. Notons que la principale d’entre elles, à savoir l’Aide sociale à l’hébergement, est récupérable sur la succession.
(4) Sauf bien entendu les 5 départements où aucun EHPAD privé n’est présent (Aveyron, Guyane, Haute-Marne, Lozère, Territoire de Belfort).
(5) Données DREES. Un taux d’encadrement de 68,1 % signifie que pour 100 résidents, un EHPAD emploie 68,1 personnes.