Erwan Seznec
Pratiques abusivesCondamnations confirmées pour Leclerc, Carrefour et Auchan
Leclerc, Carrefour et Auchan imposaient à leurs fournisseurs des conditions illégales. Leclerc a aggravé son cas en faisant pression sur eux pour qu’ils renoncent à leur indemnisation.
L’affaire avait provoqué des commentaires indignés. Condamnée en 2009 par la cour d’appel de Versailles à rembourser 23 millions d’euros à 28 fournisseurs victimes de clauses abusives, la centrale d’achat des centres Leclerc (SG Galec), avait fait pression sur les entreprises concernées pour qu’elles renoncent à leurs indemnités, sous peine de déréférencement !
Techniquement, il fallait que Leclerc verse la somme au Trésor public, qui se chargeait ensuite de la distribuer aux fournisseurs. Mais si ces derniers ne réclamaient pas l’argent, l'administration devait le rendre à Leclerc. Ce dernier avait donc demandé aux PME de s’abstenir. Le service juridique du Galec avait même rédigé à leur attention une lettre de renonciation standard à faire valoir leur droit !
Le secrétaire d'État à la Consommation de l’époque, Frédéric Lefebvre, avait peu apprécié la manœuvre. Il avait saisi le tribunal de commerce de Paris en 2011, obtenant la condamnation de Leclerc à un million d'euros d'amende supplémentaire. La cour d’appel de Paris a doublé la somme, infligeant deux millions d’euros au Galec pour cette pratique abusive, par un arrêt du 18 septembre 2013.
Dans un autre arrêt du 11 septembre 2013, la même cour d’appel a infligé une amende d’un million d’euros à Eurauchan, centrale d’achat d’Auchan, là encore pour des pratiques abusives et un « déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Entre autres, Auchan s’autorisait à imposer des baisses de tarifs à ses fournisseurs (en cas de baisse des coûts des matières premières, par exemple), mais leur interdisait de revoir leurs tarifs à la hausse dans le cas contraire.
Le grand classique des marges arrière
La Cour de cassation, enfin, a rendu définitive la condamnation de Carrefour pour facturation de services fictifs. Un grand classique des marges arrière : un « contrat de partenariat » impose au fournisseur un paiement conséquent, en échange de pseudo-opérations de promotion ou d’animations en rayon qui ne coûtent pas le dixième du prix demandé.
Ce tir groupé ne doit rien au hasard. Il est la suite d’une série de raids lancés contre les centrales d’achats des grandes surfaces alimentaires et spécialisées en 2008, par la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes (DGCCRF). Des centaines de contrats contenant des clauses abusives avaient été saisis, aboutissant à des condamnations en première instance, puis en appel. La puissance publique se substituait ainsi aux PME, très souvent en situation inconfortable pour attaquer les distributeurs dont elles dépendent.
Les pratiques commerciales déloyales les plus fréquentes de la grande distribution
En novembre 2009, le secrétaire d'État à la Consommation Hervé Novelli lance les directions départementales de la protection des populations, coiffées par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), contre les distributeurs. En quelques semaines d’enquête, les fraudes compilent 400 contrats permettant d’assigner neuf enseignes en justice pour pratiques abusives : Auchan, Carrefour, Casino, Cora, Leclerc, Système U, Intermarché, Castorama et Darty.
Facturation de prestations fictives
C’est l’abus le plus fréquent. En février 2012, la centrale d’achat Interdis du groupe Carrefour a ainsi été condamnée pour des clauses de service appelées « plan d’action par familles de produits » et « plan de développement des performances du fournisseur ». La Cour d’appel de Paris a considéré qu’Interdis les facturait vingt à trente fois leur prix. L’amende infligée au groupe est de deux millions d’euros, et la somme à rembourser atteint 17 millions d’euros, partagés entre plusieurs PME. « Il est illusoire de considérer comme le voudrait l'appelante (c’est-à-dire Carrefour) que les PME peuvent à loisir revoir leurs tarifs à la hausse pour compenser les demandes de rémunération abusives de services auxquelles elles se trouvent confrontées dans leurs négociations », relève l’arrêt.
L’année précédente, les Salins du Midi avaient déjà réussi à faire condamner Interdis pour « disproportion manifeste » entre la rémunération versée et la valeur des pseudo-services commerciaux effectivement rendus. Dans cette affaire, les Salins n’avaient rien à perdre. Ils avaient été déréférencés par Carrefour. Comme leur partenariat avec le distributeur durait depuis plus de trente ans, ils ont plaidé la rupture brutale des relations commerciales.
Publicité imaginaire
Le Leclerc des Angles (Gard), quant à lui, a été condamné par la cour d’appel de Nîmes le 10 mars 2011 pour avoir fait payer des publicités imaginaires en rayon. Le préjudice était modeste (16 000 euros), mais c’était pour trois mois seulement, sur un seul magasin.
Qu’est-ce qu’une prestation de « taux moyens promotionnels garantis » ? Le Leclerc de Mont-de-Marsan a eu tellement de difficultés à l’expliquer au tribunal de commerce de Bordeaux, que les magistrats l’ont condamné en mai 2012 à rembourser ses fournisseurs quasi intégralement. Les juges ont divisé par dix le tarif imposé pour cette prestation qui ne correspondait à rien de précis.
À Romans-sur-Isère, en mars de la même année, c’est par trente que le tribunal a divisé le prix des prestations de Système U. Le magasin incriminé revendait à prix d’or des études de marché qui étaient des copiés-collés des données du cabinet Secodip. 730 000 euros de réparation, 1,5 million d’euros d'amende.
Droit d’entrée irrégulier
Autre classique des clauses abusives, la cotisation à une centrale d'achat européenne alors que la PME ne vend pas à l'étranger, et le « droit d'accès au référencement ». Le fournisseur se voit imposer un péage avant que le distributeur lui ait passé une seule commande. La grande surface spécialisée Mr Bricolage a été condamnée à une amende d'un million d'euro en décembre 2009 à ce titre.
Casino, de son côté, a été condamnée en janvier 2012 pour une clause de reprise systématique des invendus (ou des produits dégradés, même si ce sont les manutentions en magasin qui sont la cause des dégradations) et une clause de révision à sens unique. Quand le prix des matières premières baisse, le distributeur paye moins son fournisseur. Si les matières premières augmentent, en revanche, il ne sera pas payé davantage.
Ristourne rétroactive
Il y a également la clause de ristourne rétroactive. Quand le distributeur baisse ses prix en magasin, il baisse aussi unilatéralement le prix payé au fournisseur. Mais s'il arrive à augmenter le prix au détail, bien entendu, c'est tout bénéfice pour lui.
Pénalités de retard
La liste ne serait pas complète sans les pénalités de retard. Celles-ci ne sont pas illégales. Ce qui l'est, en revanche, c'est de priver son partenaire de tout moyen de vérifier la réalité du problème, ou encore de ne prévoir aucun délai pour passer commande. « Les conditions générales prévoient bien une indemnité en cas de retard de ma part, remarque un industriel spécialisé dans la pâtisserie qui nous a permis de lire ses contrats, mais il ne dit rien du délai que devrait respecter le distributeur avant de nous passer commande ». Auchan a écopé d'un million d'euros d'amende pour ce motif, entre autres, en septembre 2011. L'année précédente, le groupe s'était pourtant engagé à mettre en place des « bonnes pratiques » en la matière...
La DGCCRF a aussi trouvé des clauses de refus de marchandises pour « trop grande proximité de la date limite de consommation ». Proximité laissée à l'entière appréciation du distributeur. Pour des produits laitiers, quel délai est acceptable ? Une semaine, trois semaines ? L'arbitraire règne.
Délais de paiement illégaux
Les grandes surfaces exigent d'être payées immédiatement quand elles imposent une pénalité ou une prestation plus ou moins fantôme. Inversement, elles font tout leur possible pour s'exonérer des lois qui leur imposent depuis 2009 de payer les fournisseurs à 60 jours. Auchan, Carrefour ou Casino pourraient facilement payer à 5 ou 10 jours, mais ils placent leur trésorerie, qui produit des intérêts. Le Galec/Leclerc payait à 110 jours les biscuitiers Loc Maria et Gaillard Pâtissier, sans discussion possible. À prendre ou à laisser. Résultat, 300 000 euros d'amende en juin 2012. Les sociétés avaient accepté, « au risque sinon de ne pas être référencées et donc de perdre une part importante de leur chiffre d'affaires », relève le jugement. Le hors-délai se pratique à grande échelle. Le tribunal de commerce de Romans a condamné Intermarché en mars 2010 pour 123 factures hors délai sur les six premiers mois de l'année 2006.
Variante du hors-délai, le distributeur oblige les fournisseurs à faire « un avoir de reprise » fictif et à livrer tout aussi fictivement une seconde fois la même marchandise afin de doubler le délai : 120 jours, dans le respect apparent des textes. Autre possibilité, imposer au fournisseur un versement d'acomptes ou de ristournes démesuré. L'argent sera restitué, mais seulement au 31 décembre.
Dernière astuce : la PME est fortement incitée à transiter par une plateforme logistique partenaire du distributeur. La marchandise, soupçonnent les fournisseurs, n'y reste que quelques heures, voire pas du tout. Elle est vendue très vite. Mais comme il y a formellement un intermédiaire, la grande surface paye le logisticien à 60 jours, et celui-ci, à son tour, paye le fournisseur à 60 jours. Simple et efficace.
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