Erwan Seznec
Marques de distributeursLes prix décryptés
Qui fabrique les produits des marques de distributeurs (MDD) et pourquoi sont-elles moins chères que les marques nationales ? Les réponses à ces deux questions n’apportent rien de nature à inquiéter le consommateur, au contraire.
Les steaks hachés Leader Price sont fabriqués à partir de carton bouilli saturé d’arôme artificiel, dans un entrepôt d’une saleté repoussante caché quelque part en Moldavie. Le surimi Auchan contient 95 % d’arêtes de poisson broyées provenant des résidus de pêcherie du pays Bigouden, d’où son prix défiant toute concurrence.
Voilà le genre d’informations que l’on ne trouve pas en enquêtant sur les marques de distributeurs (MDD). Heureusement, car celles-ci n’ont jamais été aussi populaires. Elles représentent aujourd’hui 36 % des ventes de la grande distribution en volume, soit deux fois plus qu’il y a 15 ans. Elles sont encore plus répandues chez nos voisins : 53 % des ventes en Suisse, 49 % en Espagne, 47 % en Grande-Bretagne, 43 % au Portugal, 41 % en Allemagne et 40 % en Belgique, selon les chiffres de la PLMA, l’association internationale des fabricants de MDD.
Recette du succès : un bon rapport qualité/prix. Les MDD sont 20 % à 30 % moins chères que les marques nationales, tout en soutenant la comparaison avec ces dernières.
En décembre 2011, Que Choisir teste les tagliatelles. Catégorie pâtes sèches, Lustucru arrive en tête avec une note de 16,3/20. Mais juste derrière, à 16,1/20, on trouve des tagliatelles MDD de Casino. Elles coûtent 1,20 €/kg contre 2,10 €/kg pour les Lustucru. Ensuite, arrivent encore des MDD, Lidl Combino et Leader Price Pâtes d’Alsace, notées respectivement 15,1/20 et 15/20.
En pâtes fraîches, la marque italienne Giovanni Rana distance nettement tous ses concurrents à 17,8/20, mais les MDD de Leader Price, Super U et Leclerc Eco+ restent honorables. Elles se tiennent dans un mouchoir, à un dixième de point près, autour de 16/20. Et à 0,92 €/kg, la MDD Leclerc est exactement trois fois moins chère que Giovanni Rana (2,77 €/kg).
Côté fabrication, les tagliatelles sèches MDD de Casino sont fabriquées par l’alsacien Valfleuri, tout comme celles de Leader Price. C’est du moins ce qu’indique le site www.mesgouts.fr, spécialisé dans l’information sur les produits alimentaires. Non exhaustif, il ne dit pas d’où viennent les pâtes fraîches MDD, mais elles pourraient bien avoir été fabriquées par l’italien Bertagni 1882 ou le français Lustucru Frais. Les deux entreprises vendent des produits sous marques propres et sous MDD. Lustucru était présent au Salon MDD Expo de 2012 et Bertagni 1882 à celui de 2013, qui s’est tenu à Paris les 9 et 10 avril derniers. Ce salon réunit quelque 500 exposants, dont 400 entreprises de l’agro-alimentaire. Les journalistes sont les bienvenus. Il suffit de se promener dans les allées, chaque fabricant expose ses productions en toute sérénité. Les établissements Paul Paulet (Petit Navire) font les rillettes au thon de Netto, Carrefour, Auchan, Leclerc, les boîtes de thon entier à l’huile de U, Dia, Bien Vu. Le groupe Turenne Lafayette (marque Bertrand Fortin, William Saurin et Madrange, entre autres) produit des jambons sous vide et autres charcuteries MDD pour toutes les enseignes de France.
Les marques se concurrencent elles-mêmes
Quelle motivation pousse une entreprise comme Teisseire à concurrencer ses propres produits en fabricant les MDD d’Auchan (Rochambeau), Dia, Leclerc (marque Repère), Carrefour, ou Leader Price ? Réponse d’un représentant de la société présent au salon : « Les MDD représentent 60 % du marché des sirops. Si on n’y va pas, on rate une partie importante de la clientèle, qui fait vraiment attention au prix ». Mais les sirops MDD sont-ils identiques aux sirops Teisseire ? « Non, jamais. Les recettes ne sont pas identiques », indique-t-il.
Et pas forcément moins bonnes, comme le confirme d’autres tests de Que Choisir. Le cas de Meralliance est le plus éloquent. Cette PME quimpéroise truste le marché du saumon MDD. Lors d’un comparatif de saumons fumés réalisé en 2009, nous avions sélectionné comme meilleur choix les saumons fumés U, Monoprix, Armoric et Carrefour. Soit trois MDD Meralliance et la marque propre du groupe ! Le saumon U Meralliance surclassait le Petrossian, douze fois plus cher, tout comme le saumon Labeyrie, considérée pourtant comme la marque nationale de référence.
Labeyrie, faut-il le rappeler, appartient à la coopérative Lur Berri, qui contrôle aussi les abattoirs Spanghero, spécialiste désormais bien connu des lasagnes pur bœuf au cheval. Ce scandale sanitaire a contribué à focaliser l’attention sur les MDD (bien qu’il ait aussi touché des marques nationales comme Findus), probablement parce que les prix attractifs de ces dernières intriguent et laissent penser que les fabricants lésinent sur la qualité des ingrédients, quitte à prendre des risques sanitaires. « En fait, les MDD sont moins chères parce qu’elles occasionnent zéro dépense de publicité et de marketing, corrige un cadre de la biscuiterie Régals de Bretagne (brioches Carrefour, Auchan, Leader Price, etc.). Vous ajoutez des commandes par gros volumes, et l’écart s’explique facilement ».
Dernière question, les distributeurs mettent-ils les fabricants sous pression économique par le biais des MDD ? Pas forcément. Les négociations avec les centrales d’achat, d’une manière générale, sont extrêmement dures. Les PME ont le plus grand mal à faire entendre leurs contraintes et à négocier des prix tenables, sous marques propres comme sous marques de distributeur. « En fait, tout dépend du type de MDD dont on parle », relativise un exposant. La pression est au maximum quand il s’agit de « me-too » (des « moi-aussi », autrement dit des copies) assortis d’une seule exigence, le prix. Le cahier des charges est simple : faire le simili coca le moins cher possible, ou des chips à prix imbattable. Cela n’est pas, et de loin, le seul horizon des MDD, qui ont plutôt tendance à monter en gamme en ce moment (l’indice de prix des MDD a progressé sur les quatre derniers mois de 2012 alors que celui des marques nationales baissait).
Dans au moins un cas, d’ailleurs, le distributeur n’a pas intérêt à étrangler son fournisseur. Il s’agit d’Intermarché, propriétaire de plusieurs PME à marques nationales (conserves Cook, biscuits Filet Bleu, eau de source Vernet, etc.), qui fabriquent aussi des MDD, y compris pour ses concurrents Auchan ou Casino !
Enquête sur les MDD laitières
Une enquête est en cours depuis plus d’un an sur huit fabricants de MDD laitières, Senoble, Novandie (Mamie Nova, Andros), Lactalis, Maîtres laitiers du Cotentin, Alsace Lait et 3A. Elles se seraient entendues pour ne pas répondre aux appels d’offre des distributeurs fixant des prix trop bas. Les enjeux sont considérables. Les MDD de produits laitiers représentent 1,4 milliard d’euros par an. Lactalis vend la moitié de ses produits sous MDD, Novandie 85 % et Senoble 95 %. Danone, leader du créneau, ne fait pas de MDD.
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