Erwan Seznec
Cœur artificiel CarmatLes petits investisseurs ont-ils été spoliés ?
En janvier 2016, le cours de la société française réputée pour sa fabrication de cœurs artificiels a sévèrement baissé lorsque l’un des patients est mort. Mais la chute de l’action a débuté avant l'annonce officielle du décès. Ce qui pose la question d’un possible délit d’initié.
Créée en 2008 par le chirurgien Alain Carpentier et Matra Défense, Carmat est devenue célèbre en 2011, quand la société a annoncé la mise au point d'un cœur artificiel très sophistiqué, entièrement autonome et autorégulé. Dans les mois qui ont suivi, des centaines de reportages enthousiastes ont été diffusés, rendant Carmat célèbre. Le cours de l'action a atteint les 180 euros en juin 2011 sur Alternext (plateforme boursière des petites et moyennes entreprises), contre 32 euros au 19 février 2016.
En septembre 2013, Carmat a obtenu l'accord des autorités sanitaires pour tester le cœur sur quatre patients, avec un objectif de survie d'un mois minimum pour chacun d'entre eux.
Les trois premières greffes ont eu lieu en décembre 2013, août 2014 et avril 2015. Les patients ont survécu respectivement 2 mois et demi, 9 mois et 8 mois.
Un quatrième patient a été greffé en secret le 22 décembre 2015. Carmat a annoncé son décès par communiqué le 21 janvier 2016, en précisant que la mort était liée à des complications sans rapport avec le cœur artificiel. Elle remontait à neuf jours, c'est-à-dire au 12 janvier.
Le titre baisse avant l'annonce des décès
Or, comme chacun peut le constater sur les graphiques boursiers (1), les volumes d'échanges sur le titre Carmat augmentent le 13 janvier, avec un pic le vendredi 15 janvier, alors que le décès du quatrième patient n'a donc pas encore été annoncé. La Bourse ferme le week-end, mais les ventes de titres et la baisse reprennent dès l'ouverture d'Alternext, le lundi 18 janvier.
Le titre recule de 25 % en neuf jours, passant de 40 euros à 29 euros le 21 janvier. Le mouvement s'arrête seulement à la parution du communiqué, que Carmat émet d'ailleurs sous la contrainte. La Lettre A, une publication confidentielle, venait d'annoncer l'existence et la mort de ce quatrième patient.
Des coïncidences ? Deontofi n'y croit pas une seconde. Selon ce site spécialisé dans les enjeux de la déontologie financière, ce n'est pas la première fois que le titre Carmat chute quand un patient meurt, avec cette surprenante anomalie que le plongeon commence toujours avant l'annonce des décès !
Carmat est soutenue par le fonds d'investissement français Truffle Capital, dirigé par Philippe Pouletty, financier très expérimenté et docteur en médecine. Contactés, Truffle et Carmat répondent que « Carmat étant une société de technologie médicale cotée et non une société spécialisée dans les marchés boursiers, elle n’a pas la vocation à commenter l’évolution de son propre cours de bourse. » C'est un peu court. Des éléments sérieux conduisent à penser que la mort du quatrième patient a fuité. Dans ce genre de situation, les professionnels des marchés sont systématiquement avantagés par rapport aux petits porteurs. Ces derniers peuvent-ils encore faire confiance à Carmat et à Truffle Capital ? C'est peut-être à l'AMF (Autorité des marchés financiers) de le dire. Elle ne s'est pas manifestée pour le moment.
(1) investir.lesechos.fr/cours/action-carmat,xpar,alcar,fr0010907956,isin.html (sélectionner l’onglet « 3 mois » juste au-dessus du graphique).