Florence Humbert
PêcheLes engins de pêche vont apparaître sur les étiquettes
À partir du 13 décembre 2014, l’étiquette des produits de la pêche devra indiquer l’engin – chalut, senne ou filet, etc. – avec lequel le poisson a été capturé. Pas sûr que cette information supplémentaire guide les consommateurs vers des produits durables.
Adoptée le 10 décembre 2013, la réforme de la Politique commune de la pêche (PCP) prévoyait notamment d’améliorer l’étiquetage des produits de la mer. Il s’agissait de fournir aux consommateurs des « informations claires et complètes, notamment sur l’origine des produits ainsi que sur leurs méthodes de production », afin qu’ils « puissent faire des choix en connaissance de cause ». Il faut dire que la traçabilité des produits de la mer laisse vraiment à désirer, surtout si on la compare aux autres denrées alimentaires, les viandes en particulier, dont l’indication de l’origine va devenir obligatoire.
Conformément aux souhaits de la PCP, de nouvelles normes d’étiquetage (règlement UE no 1379/2013), applicables à compter du 13 décembre 2014, ont donc été édictées par l’Organisation commune de marché (OCM) dans le secteur des produits de la mer. Mais force est de constater qu’une fois de plus la montagne a accouché d’une souris. Car les nouvelles dispositions s’appuient sur les mentions obligatoires existantes (1). Malgré leur imprécision, les « zones de capture » définies par la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, vont donc continuer à s’afficher sur les étiquettes. Par exemple, la fameuse « zone Atlantique Nord-Est », « zone 27 » que l’on retrouve sur la plupart des poissons vendus sur les étals français. Avec cette indication, le consommateur n’est pourtant pas plus avancé, car la zone couvre grosso modo une portion de mer partant du Groenland au nord de la Russie pour s’étendre jusqu’au sud de l’Espagne, Islande incluse ! Les langoustines, par exemple, qu’elles soient pêchées dans les eaux écossaises, irlandaises, norvégiennes ou françaises, seront donc toujours étiquetées A.N.E. ! Certes, rien n’empêche les metteurs en marché d’indiquer une zone plus précise, mais cette démarche reste volontaire.
En fait, la principale nouveauté du règlement vient de l’obligation de mentionner sur l’étiquetage le type d’engin de pêche utilisé pour la capture des produits des poissons, céphalopodes, coquillages et crustacés. Le matériel utilisé par les pêcheurs est regroupé en 7 grandes catégories : sennes, chaluts, filets maillants et filets similaires, filets tournants et filets soulevés, lignes et hameçons, dragues et casiers (et pièges).
Réalité complexe
Bien sûr, cette mesure était réclamée à cor et à cri par les organisations environnementalistes qui souhaitent ainsi pointer du doigt les engins qu’ils jugent destructeurs pour les fonds marins. À commencer par le chalut de fond. Même si le Parlement européen a finalement rejeté le 10 décembre 2013 l’interdiction du chalutage en eaux profondes (tout en prônant une règlementation accrue) ses opposants ne s’avouent pas vaincus pour autant. « L’étiquetage des engins de pêche va dans le bon sens. Cette mention va amener les consommateurs à se poser des questions », affirme Hélène Bourges, chargée de campagne Océans chez Greenpeace France. Même si elle concède qu’on entre là dans un domaine très technique et que « bien peu de gens savent ce qu’est une senne coulissante, une palangre ou un filet tournant ». C’est pourtant là que le bât blesse. Car à simplifier outrageusement une réalité complexe, on risque de discriminer certains engins de pêche au profit d’autres qui ne valent pas forcément mieux. « Tout changement doit être progressif, réfléchi, et la réglementation adaptée. Même la pêche en plongée, sans engin, peut surexploiter des stocks de coquillages si trop de plongeurs la pratiquent », déclarait Pascal Larnaud, technologiste des pêches et responsable de la station Ifremer de Lorient dans une interview accordé à Ouest-France, le 27 janvier 2014. « La substitution du chalut par des engins passifs (type casiers, nasses, palangres...) pourrait être envisagée au cas par cas en tenant compte du fait que ces techniques ont souvent des rendements moindres et ne pourraient sans doute pas assurer le même niveau d'approvisionnement. De plus, il ne faut pas perdre de vue que beaucoup de ces engins nécessitent des appâts... qui sont souvent pêchés au chalut », poursuit Pascal Larnaud.
Par ailleurs, on peut s’étonner que les exigences en matière d’étiquetage des produits de la pêche ne s’appliquent pas de la même manière à ceux issus de de l’aquaculture dont les pratiques sont pourtant loin d’être vertueuses. Pour ne citer qu’un seul exemple, la crevetticulture dans les pays asiatiques, au Brésil et en Amérique centrale, a eu des conséquences désastreuses au plan social et environnemental. Y aurait-il, pour Bruxelles, deux poids deux mesures ? À moins que le « scandale » du chalutage profond monté en épingle par les ONG environnementalistes ne serve à masquer l’irrésistible essor d’un secteur aquacole de plus en plus concentré.
L’armement d’Intermarché, la Scapêche, promet de ne plus pêcher en dessous de 800 mètres de profondeur
La Scapêche, l’armement des Mousquetaires, vient de s’engager à ne plus pêcher en dessous d’une profondeur de 800 mètres, d’ici à 2015. Cette décision fait suite aux discussions engagées depuis plusieurs semaines entre la filiale d’Intermarché et les ONG qui militent pour une interdiction de la pêche au-delà de 600 mètres de profondeur. Rassurée par le vote des députés européens en faveur du maintien du chalutage profond, tout en renforçant son encadrement, la filiale d’Intermarché voulait aller au-delà des objectifs fixés par Bruxelles. À condition toutefois de ne pas mettre en péril l’équilibre économique de ses pêcheries. Selon la Scapêche, les captures d’espèces d’eaux profondes (lingue bleue, sabre noir et grenadier) représentent 40 % du chiffre d’affaires des bateaux concernés.
Un accord a finalement été trouvé : outre son engagement de réduire la profondeur de pêche de 1 200 mètres à 800 mètres, l’armement d’Intermarché a également décidé de partager les statistiques de capture de ses 7 grands chalutiers ciblant les espèces de grands fonds à l’ouest de l’Écosse avec les associations de défense des océans et d’informer celles-ci sur leurs profondeurs de travail et le positionnement des bateaux heure par heure.
« C'est une bonne nouvelle pour la biodiversité, même si 800 mètres est encore trop profond par rapport à la vulnérabilité des espèces et des milieux océaniques », a commenté Philippe Germa, directeur du WWF France. Même son de cloche chez Greenpeace qui salue un « pas en avant » dans ce dossier qui fait l’objet de vives controverses à Bruxelles depuis trois ans. « Cependant, une limite à 600 mètres permettrait de mettre fin à l'exploitation des écosystèmes profonds les plus vulnérables », a estimé Hélène Bourges de Greenpeace. Pour la Scapêche au contraire, ce compromis permet de « concilier la gestion des ressources, le respect des fonds, des habitats et des écosystèmes marins avec le maintien de la rentabilité de l’armement et la préservation des 257 emplois directs de l’armement ».
Rectificatif du 7 février 2014
Suite à une remarque de M. Gaël Michel, secrétaire général de l’Union du mareyage français concernant l’étiquetage des zones de pêche, une mauvaise interprétation du nouveau règlement OCM (no 1379/2013) nous a conduit à écrire qu’il n’apportait pas plus de précision que le précédent en ce qui concerne l’étiquetage des zones de pêche définies par la FAO sur les produits de la mer. En réalité, l’article 38 de ce règlement OCM précise au contraire qu’à partir du 13 décembre, le consommateur devra être informé du « nom écrit de la sous-zone ou de la division figurant sur la liste des zones de pêche de la FAO, ainsi que le nom de cette zone dans des termes intelligibles pour le consommateur, ou une carte ou un pictogramme indiquant cette zone ». La liste des sous-zones et divisions est disponible sur le site de la FAO : http://www.fao.org/fishery/area/Area27/en#NA0777
(1) Sur l’étiquetage des produits de la mer figurent actuellement la dénomination commerciale du produit, la mention « pêché » ou « élevé », la zone de capture FAO des produits sauvages ou le pays d’élevage dans le cas de produits aquacoles, et la mention « décongelé » s’il y a lieu. À compter du 13 décembre 2014, le poissonnier sera dans l’obligation d’afficher le nom scientifique (en latin) des poissons, coquillages, crustacés et autres céphalopodes ainsi que l’engin de capture pour les produits sauvages. À titre facultatif, l’étiquette peut aussi indiquer la date de pêche ou de récolte, la date de débarquement, le port de débarque, le pavillon national du navire de pêche ainsi que des données environnementales, d’ordre éthique ou social.