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Camembert de NormandieUne AOP toujours mal protégée

On croyait la guerre du camembert au lait cru résolue avec l’interdiction de la mention « fabriqué en Normandie » sur les ersatz pasteurisés de l’appellation d’origine protégée (AOP)… Erreur ! Le combat se poursuit désormais devant les tribunaux. Et si une décision finale favorable laisse peu de doutes, la procédure judiciaire prendra plusieurs années. En attendant, les mentions illégales restent présentes dans les rayons.

La réglementation les proscrit. Pourtant, presque 4 ans plus tard, les références à la Normandie s’affichent toujours sur les boîtes de camembert des principales marques : « lait collecté en fermes normandes » pour Le Rustique, des effigies de lions (symboles de la Normandie) pour Lanquetot et Cœur de Lion, des vaches normandes pour Lepetit, et surtout – celle qui cristallise les passions – la mention « fabriqué en Normandie » sur les emballages de Président. Peu de choses ont donc changé depuis l’enquête menée par l’UFC-Que Choisir début 2021, et force est de constater que le respect de l’appellation d’origine protégée (AOP) Camembert de Normandie n’est pas encore effectif.

Ces « camemberts » usent et abusent des références à la Normandie : vaches normandes, blason, effigies de lions…

Depuis la création, en 1983, du signe de qualité « au lait cru et moulé à la louche », les fabricants de la version pasteurisée se sont rabattus sur la mention « fabriqué en Normandie ». Or cette dernière est illégale au regard du droit communautaire, car considérée comme une « pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine du produit » – d’après l’article 13, paragraphe 1, dernier alinéa du règlement européen 1151/2012… Pourtant, les industriels laitiers ont continué à l’utiliser pendant plus de 20 ans sans restriction de la part des pouvoirs publics !

Sollicité par Que Choisir, le géant mondial Lactalis ne voit pas le problème : son étiquetage « ne contrevient pas à la réglementation », et il continuera à l’apposer sur les boîtes aussi longtemps qu’il le pourra. À la protection de l’AOP, il oppose « le risque pour les débouchés du lait normand ». Pour lui, « enlever le mot “Normandie”, dont la notoriété est mondiale, ferait chuter les exportations de camembert, et pourrait conduire à une augmentation des importations de camemberts […] produits hors de France et vendus à des prix plus bas ».

Une plaidoirie qui ne convainc pas les défenseurs de l’AOP. Pour en finir avec ce qu’ils estiment être une concurrence déloyale, ils réclament que l’interdiction du « fabriqué en… » s’applique enfin. La filière camembert, au sein de son organisme de défense et de gestion (ODG), a d’abord tenté de trouver un compromis via un élargissement de l’AOP et son organisation en deux niveaux d’exigence. Mais cette tentative a échoué en 2020, après plusieurs années de négociations : la fabrication du camembert industriel est trop éloignée des pratiques de l’AOP ; en particulier, le lait conventionnel, trop dilué, doit être concentré en usine par un processus d’ultrafiltration membranaire et subir plusieurs pasteurisations qui le dénaturent.

Le camembert Président (groupe Lactalis) cumule les références : « fabriqué en Normandie », « 100 % lait normand » et un blason !

Chacun est donc revenu sur sa revendication initiale. Seulement, les forces en présence sont inégales. D’un côté, l’ODG, les éleveurs et les producteurs fermiers. De l’autre, le géant mondial Lactalis (Président, Lanquetot, Lepetit), la société RichesMonts (Cœur de Lion, Le Rustique) codétenue par la coopérative Sodiaal et le groupe Savencia, la coopérative Isigny-Sainte-Mère – certains fabriquent aussi des AOP, à l’instar de Lactalis avec ses marques Graindorge, Jort ou Moulin de Carel.

Saga judiciaire

C’est donc l’État qui a repris le flambeau de l’ODG, sans imaginer la saga judiciaire qui allait suivre… La DGCCRF, soutenue par l’Inao (Institut national de l’origine et de la qualité), a émis un « avis » d’interdiction générale de la mention contestée en 2020. Mais les industriels ont choisi d’utiliser la voie judiciaire pour contre-attaquer. Deux d’entre eux, Lactalis et Isigny, ont attaqué l’avis pour « excès de pouvoir » devant le Conseil d’État, mais ils se sont vus déboutés. Les défenseurs de l’AOP pensaient l’affaire réglée : « On pensait le dossier clos, et on espérait pouvoir passer à d’autres sujets, comme le renforcement du cahier des charges de l’AOP », se souvient l’un d’eux. C’était trop optimiste…

En 2022, la DGCCRF a enfin lancé une série de contrôles de la conformité des étiquettes sur les boîtes de camembert, et envoyé aux contrevenants des « injonctions de mise en conformité ». Ces derniers ont aussitôt contre-attaqué, déposant les uns après les autres des référés-suspensions et des recours en annulation devant les tribunaux administratifs de Caen, Rennes, Melun et Cergy (15 démarches au total). Dans plusieurs cas, ces instances locales leur ont donné raison sur la forme sans se prononcer sur le fond. L’État a fait appel de ces jugements devant la cour d’appel de Nantes et le Conseil d’État. Aujourd’hui, les trois référés sont « purgés », les industriels ayant été systématiquement déboutés. Mais juger les 12 recours sur le fond prendra encore plusieurs années… En attendant que la justice tranche, c’est aux consommateurs de rendre leur verdict par leurs achats, et de montrer s’ils soutiennent l’AOP ou disculpent le pasteurisé !

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